30/11/2007

La délation officialisée dans les services publics

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L'émoi enfle chez les employés du service public en contact avec les étrangers. Depuis plusieurs mois déjà, les consignes se font plus strictes en matière d'accueil et surtout de vérification des titres de séjour, même si, à certains guichets, on dénonce une incitation à la délation.Les services publics enrôlés dans la chasse aux étrangers
Par Chloé Leprince (Rue89) 18H53 30/11/2007

Début octobre, l'arrestation d'un étranger venu déposer un dossier de mariage à la mairie de Montpellier faisait scandale. Deux mois plus tard, le malaise a grimpé d'un cran dans de nombreux services administratifs, un peu partout en France.

En Haute-Garonne, des employés envoyés en stage à la PAF
Cette semaine, les employés d'un chapelet de services publics de Haute-Garonne (de l'ANPE à la Cram en passant par l'Urssaf ou la Ddass) ont appris qu'ils seraient désormais invités à partir en stage... à la Police de l'air et des frontières (PAF). La Police de l'air et des frontières est en effet chargée d'aider fonctionnaires et travailleurs sociaux à muscler la prise en charge des étrangers amenés à transiter par leurs services.

En fait, le document officiel de la préfecture précise que le stage de trois jours et demi vise à former un "groupe de référents" censés alerter directement la PAF, la gendarmerie ou la police pour tout document qui leur semblerait falsifié. Le texte officiel le stipule: la gendarmerie se présentera alors "sur simple appel" d'un employé d'une des administrations.

Dans le département, la plupart des administrations concernées n'ont découvert que cette semaine la nouvelle proposition de "stage", dont la première édition a pourtant démarré dès cet été. Mais elle fait écho à d'autres épisodes, plus ou moins isolés mais de plus en plus nombreux, dans les administrations françaises, où le personnel refuse aujourd'hui de faire office de bras droit de la PAF.

A la Poste de Chatellereault, un Guinéen embarqué par la gendarmerie
A Chatellerault, dans la Vienne, un Guinéen, Sakho Djimo, s'est présenté mi-novembre pour retirer de l'argent dans un bureau de poste. Au guichet, il présente un passeport. Mais l'employée au guichet a "un doute sur la validité de la pièce d'identité" et refuse de lui donner son mandat cash.

C'est là que les versions divergent. D'après la CGT, la gendarmerie est déjà dans les murs et embarque le Guinéen. D'après SUD, la Ligue des droits de l'homme et Emmaüs, qui rapportent l'histoire, la guichetière appelle son supérieur... qui contacte aussitôt la police. Quelques minutes plus tard, celle-ci débarque, et Sakho est interpellé.

Au sein même de la Poste, l'épisode fait des remous. Côté syndicalistes, on s'affiche "prudent", et on hésite à y voir "du zèle"... et on rappelle que cette escalade est à lire à l'aune d'un "surcroît de pression". A la CGT-PTT locale, Didier Ferron constate que les consignes ont toujours été de vérifier les pièces d'identité, mais précise que "la situation s'est durcie depuis six mois", et qu'on est passé "dans un autre registre".

Pour Didier Ferron, la vigilance doit rester totale si l'on demande aux guichetiers "de se substituer à la police":



"Il faut comprendre que cette histoire d'étrangers nous a fait très mal. On savait que ces pratiques de délation avaient lieu en région Paca depuis quelque temps. Mais pour les postiers chez nous, voir ce climat débarquer dans le Poitou est grave et douloureux."

En juillet, Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile, expliquait déjà à Rue89 qu'en refusant de délivrer leur courrier à certains demandeurs d'asile, la Poste se substituait à la police.

Les agents de l'ANPE sommés de scruter les titres de séjour la loupe
A l'ANPE, les protestations sont aussi allées crescendo depuis la diffusion de document officiel demandant explicitement au personnel de photocopier et de transmettre, "par envoi recommandé avec accusé de réception", les titres de séjour de tous les étrangers qui transitaient par leur service à la préfecture, chargée de les vérifier un par un.

Or, pour Sylvette Uzan-Chomat, du SNU-ANPE, "on introduit alors une inégalité de traitement selon la nationalité car, tant que la préfecture n'a pas vérifié -ce qui peut prendre des jours-, l'indemnisation est suspendue". Elle souligne aussi "une dimension policière proprement insupportable", alors qu'une pétition d'employés de l'ANPE dénonce l'escalade, dans le département du Rhône:

"Il y a quinze jours, le directeur d’une agence locale pour l’emploi convoque un conseiller et lui explique qu'il devra recevoir dans la matinée un demandeur d'emploi, et, dès que cette personne se présentera, de rapidement le prévenir. Heureusement, le demandeur d'emploi ne s'est pas présenté à l'agence."

La montée au front des salariés de l'ANPE commence a porter ses fruits : "lors de la dernière réunion paritaire, vendredi 23 novembre, Christian Charpy, le directeur général de l'ANPE nous a annoncé que cette procédure était suspendue... mais attention : une autre procédure est à l'étude avec le ministère de Brice Hortefeux". Avec, en ligne de mire, l'idée d'un contrôle électronique automatique, qui inquiète aussi le personnel.

La CAF demande à un foyer les actes de naissance des étrangers
Le climat reste pourtant tendu. En interne, dans les services publics. Mais aussi entre les administrations et les travailleurs sociaux sur le terrain. Ainsi, au foyer Aurore, dans le quartier de Montparnasse, à Paris, Anne Godard, la directrice, a fait des bonds en voyant le courrier à en-tête de la CAF que certains de ses soixante résidents avaient reçu:

"Seuls nos résidents de nationalité étrangère ou dont le nom est d'origine étrangère ont été priés de transmettre "une copie intégrale d'acte de naissance récente" afin d'établir le numéro de sécurité sociale. C'est honteux de faire un fichier en fonction de l'origine des gens."

A la Caisse d'allocations familiales du XVe arrondissement, le chargé de mission qui a signé le courrier reçu au foyer Aurore, contacté par rue89, assure que cela n'a "rien à voir" avec la nationalité des allocataires, et moins encore avec l'origine de leur nom":

"C'est simplement une question d'état civil: nous mettons en place un nouveau répertoire qui nécessite qu'on vérifie les numéros de sécurité sociale. Or nous avons beaucoup d'homonymes et le plus grand mal à vérifier l'état civil de ceux qui sont nés à l'étranger. Mais le problème se poserait tout autant pour un Français né à l'étranger de parents militaires! La CAF ne fait aucune vérification selon l'origine des gens!"

La méfiance reste pourtant de mise, au foyer Aurore. Marie Voirin, assistante sociale sur place, constate ainsi que, parmi les résidents dont elle suit personnellement le dossier, trois ont pour l'instant reçu le courrier... "un Pakistanais, un Tunisien, et un Algérien".

Elle affirme que, quand elle a composé le numéro de la plateforme de la CAF, on lui a répondu au téléphone que cette procédure concernait "seulement les étrangers". Or Anne Godard affirme que deux Français d'origine étrangère, l'un d'origine algérienne, l'autre d'ascendance espagnole, l'ont reçu.... " et comme par hasard, leur voisin de chambre, blond et 100% Français si j'ose dire!"

Chloé Leprince, avec Mickaël Roparz à Poitiers



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