Voici un article publié dans Le Nouvel Observateur le 6 octobre 2005.
Les profs font de la résistancePantin, la semaine dernière.
« Empêchons l’expulsion des parents de Waël et Firdaous ! », crie une femme à la voix éraillée dans un mégaphone. Autour d’elle, une centaine de personnes manifestent devant les grilles d’une école: des parents d’élèves, des syndiqués de Sud Education, Fodé Sylla, ancien président de SOS-Racisme, qui tonne que « la loi ne doit pas séparer les familles », des élus en écharpe, le secrétaire général de la Licra du « 9-3 », prévenu par « un ami inspecteur de l’Education nationale », des cégétistes tenants du non à l’Europe… A la porte, encadrés par leurs institutrices, une gamine en imper vert luciole et son petit frère disparaissent derrière les caméras. Leurs parents, sans papiers, ont été arrêtés le week-end précédent et doivent être expulsés le lendemain pour l’Algérie.Trois jours ont suffi au Réseau Education sans Frontières (RESF) pour organiser la défense de la famille Mekhelleche. Les écoles de Pantin ont fait bloc. « L’information a circulé comme une traînée de poudre », résume Jean-Michel Delarbre, un ancien prof d’histoire, grand et sec, qui a cornaqué le mouvement. A ses côtés, un exalté s’exclame: « On ira à l’aéroport. S’il faut se coucher sur les pistes, on se couchera ! » Ce ne sera pas nécessaire. A 19 heures, la nouvelle tombe: le préfet a cédé. Les parents sont libérés, avec le droit de rester en France jusqu’à la fin de l’année scolaire.Décidé à durcir sa lutte contre l’immigration clandestine, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, s’est fixé un objectif de 23 000 reconduites d’étrangers en situation irrégulière d’ici à la fin de l’année. Depuis cette année, la police cueille leurs enfants à la sortie de l’école, les traque jusque dans les classes. Des lycéens, quand ils deviennent majeurs, sont renvoyés dans des pays qu’ils connaissent à peine. Mais les services du bouillant ministre se heurtent de plus en plus aux vieux routards de l’agitation organisée qui militent au sein du Réseau Education sans Frontières.RESF est né l’année dernière, lors d’un appel solennel lancé le 26 juin à la Bourse du Travail à Paris par des militants qui opéraient jusque-là chacun de leur côté: des profs du lycée Jean-Jaurès de Châtenay-Malabry, autour de Richard Moyon, grand pourvoyeur de textes pour le réseau ; une association du quartier parisien de Belleville, où luttait aux côtés des sans-papiers notamment Pierre Cordelier, un ancien instituteur à lunettes rondes, syndicaliste à Sud Education ; et un collectif de l’académie de Créteil, né dans les lycées en 1994, au moment des lois Pasqua sur l’immigration. De grandes associations de défense des immigrés, des syndicats, des collectifs de villes ou de lycées et toute l’extrême-gauche ont rejoint le mouvement, qui ne compte « ni instances, ni statuts, ni organe », résume Richard Moyon. Pas de hiérarchie, donc, mais un maillage de bonnes volontés, reliées par le Net, fonctionnant au coup par coup.Sur le site du RESF (1), un guide très pratique d’une quarantaine de pages baptisé « Régularisation mode d’emploi », indique la marche à suivre. « Elaboré à partir de quelques expériences », ce vade-mecum de désobéissance civile s’adresse aux enseignants, qui disposent d’un levier puissant, l’école, pour défendre leurs élèves. S’adresser aux copains de classe (« leur parole est souvent plus spontanée et plus mobilisatrice que celle des adultes »), tirer les tracts, utiliser les médias, organiser une action… A Metz, Pau, Lille, Rennes, des dizaines de régularisations ont ainsi été obtenues.« Je crois plus au devoir de solidarité qu’au devoir de réserve », résume Jean-Michel Delarbre, l’ancien prof d’histoire. Le réseau ne dispose pas de programme politique, sauf « celui de faire régulariser tous les sans-papiers, ajoute Richard Moyon, dans le cadre d’une autre législation sur l’immigration, la plus ouverte et la plus tolérante possible, et d’une autre politique de solidarité avec les pays du Sud ».
Il reste aujourd’hui des milliers d’enfants sans papiers dans les écoles.
C’est dire si RESF a du travail à faire.Par Caroline Brizard,Le Nouvel Observateur
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