Le conseil des prud’hommes de Lyon jugeait hier les «années noires» d’une entreprise, d’après Pierre Masanovic, avocat de 27 ouvriers de l’usine Bosch de Vénissieux (Rhône-Alpes). Des années de discrimination sexistes et raciales selon lui. Ses clients, soutenus par la CGT, estiment que leurs carrières n’ont pas suivi leur cours normal parce qu’ils étaient originaires d’Afrique noire, du Maghreb ou des DOM-TOM pour 24 d’entre eux. Et parce qu’elles étaient femmes pour les trois autres...
«Le continent noir». A Vénissieux, jusqu’au début des années 2000, la diversité existait dans les ateliers. Pas dans l’encadrement. Le bâtiment concentrant les machines les plus dures était appelé «le continent noir». Le turnover étant assez faible dans l’usine - où Bosch fabrique notamment des pompes à diesel -, l’avocat a pu comparer la situation de ses clients au panel des salariés entrés la même année qu’eux, avec le même niveau de formation. Parmi les ouvriers embauchés comme P1 (le premier échelon) en 1980 par exemple, 25 % des salariés originaires de la métropole ou de pays communautaires étaient restés P1. Contre 60 % pour les ouvriers originaires des DOM-TOM ou de pays «non communautaires». Pour ce qui concerne les femmes, 88 % n’avaient bénéficié d’aucune promotion dans la filière ouvrière. Et l’avocat d’égrener les prénoms des recalés. Mahfoud, Ahmed, Augustin, Farid, Chantal, Marie-Rose. Et ceux des collègues mieux lotis. Alain, Jean-Paul, Bruno, Serge.
Joseph Aguera, avocat de Bosch France, dénonce cette façon de procéder. «Vous ne pouvez pas entrer dans ce raisonnement racial, que même la Cnil [la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ndlr] réprouve, a-t-il lancé à son contradicteur. Il n’existe pas d’indicateurs ethno-raciaux fiables. Vous parlez de non-métropolitains, de non-communautaires. Je ne comprends pas.» Dans la petite salle, bondée, quelques ouvriers souriaient ou hochaient la tête. Visiblement, eux comprenaient. L’avocat de l’entreprise a aussi reproché à son confrère de plaider «grosso modo», sans prouver, pour chaque salarié, en quoi il méritait une promotion.
Traces écrites. Mais depuis 1999, les salariés s’estimant victimes de discriminations n’ont plus besoin d’apporter la preuve, souvent impossible, de l’injustice. Ils doivent «rapporter les faits qui laissent supposer» l’existence d’une inégalité, rappelle l’avocat des ouvriers. L’entreprise doit ensuite s’en justifier. Pour l’un des salariés, Bosch a fait état de deux avertissements, récents. Pour un autre, un avertissement.
«Et pour les autres, rien», ponctue Masanovic, qui rappelle aussi que plusieurs dizaines de salariés, appuyés par la CFDT, ont été indemnisés, sans passer devant les tribunaux, pour ces différences de traitement. Des traces écrites des négociations restent, et le chef d’établissement de Vénissieux expliquait par ailleurs, en décembre 2004 à Liaison sociale : «Nous nous sommes rendu compte que certains avaient été défavorisés en raison de leurs origines.» L’avocat des salariés a demandé au conseil 50 000 euros de préjudice pour chacun de ses clients. Pour 19 d’entre eux, il a aussi réclamé la requalification à l’échelon supérieur. Demandes «tribunicielles», dénonce l’avocat de Bosch. Le conseil s’est donné jusqu’au 4 mars pour trancher.
Ol.B.
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