Projet de décret soumis à l’avis du CA de la CNAF le 6 Novembre 2007
Nous sommes encore face à un décret qui organise la chasse aux bénéficiaires des minima sociaux et des familles modestes, un décret de « flicage » des plus démunis qui donne obligation pour les organismes gestionnaires, notamment les Caf, de rendre des comptes précis aux ministères concernés sur le nombre de Rmi et d’Api, de prestations supprimés, grâce aux mesures portées par ce projet. Il porte sur l’ensemble des minima sociaux (sauf l’Aah), la Cmu et les prestations familiales sous conditions de ressources. Il participe d’une offensive généralisée contre l’ensemble des droits sociaux conquis et préservés de hautes luttes ces dernières décennies par les salarié-e-s.
Ce projet vise à évaluer les éléments de train de vie prenant en compte le logement ou propriété non bâtie dont le demandeur de prestation est propriétaire ou occupant, le véhicule ou motocyclette détenu par un membre du foyer ou mis à sa disposition, les objets d’art ou de collection détenu par un membre du foyer, des dépenses ou charges engagées par le foyer du bénéficiaire. L’évaluation peut être mise en œuvre à l’occasion de l’instruction de demande de prestation ou d’un contrôle, les seuils d’évaluation des éléments paraissent suffisamment modestes, donc de nature à écarter de nombreuses personnes des droits actuels aux minima sociaux et prestations familiales sous conditions de ressources.
Nous considérons que ce projet, s’il était mis en œuvre, relèverait d’un plan de « sabotage » du service public des Caf dans son esprit et son fonctionnement. Dans son esprit, puisque la suspicion généralisée des familles et des allocataires et les contrôles seraient organisés à grande échelle ; dans son fonctionnement puisque les charges de travail des personnels seraient encore alourdies pour les techniciens, les agents d’accueil et les contrôleurs en particulier. Actuellement, la simple liquidation des droits des familles et allocataires n’est pas assurée en temps et en heure dans de très nombreuses Caf, compte-tenu de l’hémorragie d’effectifs organisée par de multiples dispositions de la Convention d’objectifs et de gestion conclue avec l’Etat sur la période 2005/2008, mais aussi par la multiplication de textes législatifs complexes et tatillons que les Caf sont tenues d’appliquer. Le projet qui est soumis aujourd’hui au conseil d’administration participerait à aggraver cette embolie. Le risque accentué de trop perçus, de complexifications administratives et d’apports de dossiers supplémentaires en commission de recours amiable paraît inévitable.
Deux exemples concrets peuvent illustrer la nocivité d’un tel projet, guidé par l’obsession de la fraude, tellement en vogue aujourd’hui pour présenter des boucs émissaires aux fins de masquer la politique anti sociale actuellement à l’œuvre.
Le premier, celui d’un homme de 56 ans, allocataire du Rmi, propriétaire de son logement et possédant un véhicule dont il a besoin pour continuer sa recherche d’emploi. Son âge constitue d’ailleurs un handicap de taille qui le contraint à survivre avec le Rmi. Avec ce projet, il serait certainement privé de toutes ressources, contraint à vendre son appartement car « ses biens et son train de vie » seraient jugés excessifs pour percevoir le Rmi. Ce texte serait alors une véritable machine à fabriquer des sans abri ! Deuxième exemple, une jeune fille de 17 ans, enceinte, elle réside chez ses parents propriétaires de leur maison et possédant une voiture pour aller travailler. Le foyer dépasserait les seuils de « train de vie » imposés pour le droit à l’Api destinée à aider cette jeune mère à élever son enfant. Ils seraient alors, elle et l’enfant, encore un peu plus à la charge des parents. Mineure, elle ne peut pas prétendre à un logement social, encore moins dans le parc privé, elle pourrait être contrainte d’opter pour un hôtel maternel si elle trouvait une place de libre, elle serait ainsi contrainte de se séparer de sa famille et de son soutien quotidien, pour percevoir à nouveau l’allocation de parent isolé. Dans ce cas la dépense publique pour l’accueil en hôtel maternel serait supérieure au maintien de l’Api dans les conditions actuelles. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, qui sont les vraies situations, la vraie vie de « galère » que connaissent des millions de personnes pauvres et modestes, loin du fantasme de la fraude qui reste un phénomène marginal, toutes les directions de caisses nationales et locales de Sécurité sociale l’attestent.
Il est particulièrement choquant que de telles mesures soient élaborées quand, dans le même temps, les foyers les plus aisés de notre pays viennent de bénéficier d’un « bouclier fiscal » très avantageux pour préserver et accroître leurs biens et leur train de vie qui n’ont pas de commune mesure avec ceux des publics visés par ce projet de décret. Dans quelle société vivons-nous ?
L’autre aspect très grave de ce projet de texte, est qu’il porte atteinte au fondement même des principes qui régissent le droit aux prestations familiales en n’introduisant, au-delà des conditions de ressources applicables aujourd’hui, des éléments aléatoires et subjectifs de « biens et train de vie ». S’achemine-t-on vers une conception des prestations familiales assimilables à de l’aide sociale, recouvrable par les organismes sociaux au même titre que l’obligation alimentaire, sur les biens et les actifs successoraux, et non plus sur la conception d’un droit fondamental de compensation de charges familiales ? Pire, on coupe les vivres des personnes concernées au prétexte qu’elles ont un toit et/ou une voiture ?
Pour toutes ces raisons, le groupe Cgt des administrateurs de la Cnaf votera non seulement défavorablement contre ce texte inique et particulièrement injuste, mais en demande son retrait pur et simple car il comporte trop de dangers potentiels pour les libertés individuelles et la protection de la vie privée des familles.
D’autres moyens peuvent être mis en œuvre pour régler les problèmes posés par quelques fraudeurs concernant leurs biens et leur train de vie, et qui permettraient de ne pas engager un contrôle généralisé des populations les plus vulnérables de notre pays.
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