24/01/2008

Sarkose obsessionnelle

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«C’est devenu une véritable obsession, je lis tout ce qui le concerne, j’achète tous les ouvrages qui parlent de lui, et même les biographies de Cécilia», me révèle une patiente. Et un autre de me confier : «Cet homme envahit mes pensées, dès qu’on parle d’autre chose entre amis, je ramène toujours la conversation sur lui, j’essaie désespérément de comprendre ce qu’il a dans la tête.» A un autre moment de la journée : «J’ai su depuis le début qu’il avait un problème de quéquette, il est largement en train de me donner raison»….
Sans parler des rêves innombrables où notre président, triomphant ou démoniaque, pénètre les recoins les plus profonds de l’âme de mes patients.







Sarkose obsessionnelle
Familles, je vous haime/Blog LIBERATION

Face à ce déferlement fantasmatique, je m’étonne que le DSM, classification internationale des troubles mentaux, n’ait pas encore ajouté à ses innombrables taxinomies, ces nouvelles maladies de l’âme que sont la sarkomanie, la sarkophobie, la sarkonoïa ou la sarkophrénie.

Comment opère ce diable d’homme pour encombrer ainsi l’imaginaire, pour obstruer les fantasmes au point de générer chez la plupart de nos concitoyens une sarkose obsessionnelle aux effets délétères ?
Certes, il est omniprésent. Certes, il fait tout pour capter notre attention et saturer nos sens. Il fait surgir un lapin pour dissimuler une colombe, subtilise au pouvoir d’achat une politique de civilisation, escamote une Cécilia pour son double rajeuni de vingt ans.

Certes il exhibe son bon plaisir et nous rappelle, si nous en doutions, que le pouvoir, ça fait jouir, sur tous les plans et dans toutes les positions.
Qu’un mâle exultant sur le trône de ses conquêtes fasse fantasmer les foules n’a rien de surprenant. Mais qu’un homme utilise à ce point son mandat pour le convertir en jubilé ininterrompu, en ivresse de lui-même, en stimulant pour mieux désirer et être désiré commence à susciter un réel malaise.

Car ce narcissisme qu’il exhibe à son paroxysme nous est très familier. Dans cette immense révolution des valeurs que représente le passage à nos sociétés individualistes, notre référent ultime est la figure de l’Individu tout-puissant, contenant en lui-même l’humanité entière, incarnation de l’autonomie absolue. Ne pas prendre en compte la dimension sociale du narcissisme nous mènerait à ignorer ce qui abonde dans la vie quotidienne : terreur de la dépendance à autrui associée à une angoisse du vide et de la solitude, immense rage réprimée et désirs oraux impétueux et insatisfaits. Et qui s’associe à des traits caractéristiques de la société contemporaine comme la peur intense de vieillir, la perception différente du temps, la fascination de la célébrité, la peur et l’exaltation de la compétition.

Bien sûr, les hommes ont toujours été égocentriques, et il ne sert à rien d’affubler cela du masque de la psychiatrie. Disons que la logique individualiste fait le lit d’une propension narcissique propre à chacun, mais elle ne bouleverse pas inévitablement nos personnalités au point de nous affecter d’une pathologie narcissique.
Freud nous a depuis longtemps appris à distinguer les aspects positifs du narcissisme (que nous nommons aujourd’hui volontiers « estime de soi »), de l’obsession de soi qui porte en elle les germes de sa propre destruction.

Dans la légende, Narcisse pleure quand il prend conscience qu’il est lui-même l’objet de son amour. Il veut alors se séparer de sa propre personne et se frappe jusqu’au sang avant de dire adieu au miroir fatal et de rendre l’âme.
Que Carla succède à Cécilia, qu’elle soit elle-même une bête de spectacle, une croqueuse de stars, qu’ils se redorent réciproquement leurs blasons n’y change rien : c’est l’homme Sarkozy qui occupe la scène, c’est l’individu président qui nous envahit sur un tempo obsédant. Au nom d’une modernité, d’une efficacité et d’une authenticité affranchies des codes et des rituels désuets du pouvoir, c’est la fonction de représentation du pays qui se réduit à l’incarnation d’un destin personnel, c’est le bien commun et collectif qui se dissout dans un individualisme démonstratif et conquérant.

Mais il est avant tout une dimension du narcissisme qui fascine car elle est tapie au plus profond de nous, un narcissisme de mort qui tend à notre propre anéantissement. Toutes ces conduites autodestructrices qui nous sont aujourd’hui si familières, s’appuient sur cette dualité. Eros et Thanatos : l’amour qui semble aller de soi, être ce qu’il y a de plus naturel, est contrarié de toutes parts. Il n’est pas seulement attaqué de l’extérieur, mais pâtit des dissensions qui divisent son propre camp, implacable « armée des ombres qui sapent les tentatives thérapeutiques » (André Green).

Les narcissiques sont des sujets blessés, précisément carencés du point de vue de l’estime d’eux-mêmes du fait de déceptions précoces. Qui leur reste-t-il à aimer sinon eux-mêmes ? Ils ont alors le souci d’être non seulement un, mais unique, sans plus d’ancêtre que de successeur.
Le narcissisme pathologique est celui d’un individu soucieux de contrôler les impressions qu’il donne à autrui, avide d’admiration mais méprisant ceux qu’il parvient à manipuler, insatiable d’aventures affectives pouvant combler son vide intérieur, obsédé par son propre vieillissement. En dépit de sa souffrance, il évolue avec succès dans les institutions bureaucratiques qui encouragent la manipulation des relations interpersonnelles, découragent la formation de liens interpersonnels profonds et fournissent à l’envie approbation et désapprobation qui alimentent les atermoiements de l’estime de soi.

Le narcissisme est bien plus qu’un terme métaphorique pour désigner une obsession de soi ; c’est une formation psychique dans laquelle l’amour rejeté se retourne contre le moi sous forme de haine.
Chacun semble aujourd’hui prendre conscience que la machine s’emballe ; chacun guette l’accélération des tics de «Cheval fougueux», soupèse l’éventualité d’une explosion en plein vol et les éditorialistes du monde entier se déchaînent. L’activisme forcené de notre président, en virant à une gesticulation de plus en plus vidée de sa substance et de sa vérité, semble à présent mettre en scène, sous nos yeux ébahis, le spectacle de son autodestruction.

• Serge Hefez •




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