Exclusif : l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC) qui regroupe les principaux acteurs du Web comme Google, Dailymotion, Priceminister, Microsoft, Yahoo! etc. a adressé une note à l’Élysée et Matignon, au cabinet d’Eric Besson, aux ministères de l’Industrie ou encore de la Justice.
Nous nous en sommes procuré une copie et c’est peu de le dire : elle torpille méthodiquement le projet de loi Olivennes dit Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet).
Les acteurs du web ignorés de l'avant-projet
Alors que l’avant-projet est toujours attendu, l’ASIC critique d’abord amèrement d’avoir été boudée dans le processus de concertation autour de l’avant-projet de loi : « L’ASIC regrette d’avoir été associée si tardivement, étant donné que le texte avait visiblement déjà fait l’objet de nombreux arbitrages interministériels ». Premier désaveu cinglant pour ce projet qu’on présentait à Paris comme une parfaite synthèse des positions des principaux acteurs...
Une riposte qui est tout sauf graduée
Deuxième salve : la riposte graduée. Ce système défendu bec et ongle par les majors et par le ministère de la Culture consiste à envoyer d’abord des courriers d’avertissements.
Ces lettres sont adressées non aux présumés « pirates » mais, nuance, aux titulaires d’un accès à l’Internet soupçonnés d’avoir servi à télécharger du contenu. En cas de persistance du piratage, elles sont suivies d’une coupure d’accès, et donc une mort numérique de tout un foyer. Or, l’Asic a bien noté que les partisans de la riposte tordent la réalité et minimisent la dangerosité de ce processus pour le présenter sous son meilleur angle : celui de la douce prévention, non de la sèche sanction.
« Sur le principe même de cette approche, l'ASIC appelle à ne pas minimiser la portée de cette sanction, attaque-t-elle, bannir, même temporairement, des internautes de la société de l'information, ce n'est pas seulement les empêcher de télécharger des contenus illicites, c'est aussi et surtout leur interdire toute utilisation d’un vecteur de communication et d'expression devenus indispensables, qui offrent l'accès à une pluralité d'information, à une diversité de contenus, ou à une multitude de services publics ». Et l’association ne se prive pas de rappeler la condamnation de la coupure d’accès par le Parlement Européen.
Conclusion : « il importe que tout mécanisme de sanction soit strictement proportionné au but à atteindre ». Un objectif donc, non atteint par le projet Olivennes/Hadopi.
Risques de morts économiques et sociales
L’Asic souligne d’ailleurs d’autres risques qui avaient déjà été mis en lumière dans le passé : voir des sociétés privées ou des administrations publiques et des collectivités locales être coupées d’internet du fait des téléchargements effectués par leurs salariés ou agents publics. « On imagine par exemple les conséquences économiques d’une suspension prononcée à l’égard de PME, dont les systèmes ne peuvent être sécurisés à 100% ». De la mort social d’un foyer, on glisse à la mort économique de toute une structure.
Cette réponse graduée « n’est pas neutre et ne constitue pas un simple agencement de procédure ou de transfert de compétences. Elle affecte bien le fond du droit » souligne l’Asic qui évoque sans mal les grands principes fondamentaux comme l’accès au web, la liberté de communication et d’expression, le droit au respect de la vie privée, la liberté d’entreprendre, les droits aux recours et garanties procédurales. L'ASIC appelle donc à la vigilance des pouvoirs publics sur ces questions avant l’irréparable.
Multiples attaques contre le texte Hadopi
Pour résumer, voilà l’essentielle des critiques contre le mécanisme dit de la riposte graduée, qui a été éclairé par ces acteurs du Web. On découvrira quelques surprises puisque la riposte graduée n'est ni graduée ni exclusive d'autres sanctions :
La riposte est disproportionnée : « cette sanction n’a jamais été envisagée pour les délits les plus graves, et notamment les atteintes aux personnes commises sur l’internet » ; la suspension de l’accès à l’internet ne peut être ordonnée que par un juge : le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises qu’une autorité administrative indépendante ne peut pas prendre des mesures « privatives de liberté ».
Le mécanisme mis en œuvre ne respecte pas les droits de la défense et la présomption d’innocence : les sanctions (avertissements ou suspension de l’accès) pourront être prononcées suite à une simple plainte d’un titulaire de droits, sans recueillir l’avis du titulaire de l’accès. Par ailleurs, les causes exonératoires demeurent inapplicables et le texte n’impose pas de rechercher l’élément intentionnel, violant ainsi les principes constitutionnels.
La riposte n’est pas graduée : le texte ne prévoit pas l’obligation de gradation dans les mesures mises en œuvre (avertissement par courriel, par lettre recommandée, suspension de l’accès). Chacune des étapes demeure facultative et à la discrétion de la Haute Autorité.
Le projet de loi crée un mécanisme de double peine : si la Haute Autorité sanctionne le titulaire d’un accès à internet utilisé pour commettre des actes de contrefaçon, il ne s’agit que de la première sanction. C'est une petite bombe que voilà puisque la haute autorité aura l'obligation de notifier au ministère public les délits dont elle a connaissance. Elle devra donc dénoncer le titulaire d’accès qui pourra faire l’objet de poursuite. Résultat : outre la coupure de la ligne internet du foyer, le titulaire sera en plus poursuivi pour acte de contrefaçon.
D’une riposte graduée, on passe à une attaque massive. « La « riposte graduée » n’est destinée à sanctionner que le titulaire de l’accès à l’internet pour ne pas avoir sécurisé son poste informatique et/ou sa connexion internet. Elle n’empêche donc pas des poursuites tant civiles que pénales sur le terrain du partage de fichiers musicaux ou vidéo. Ces poursuites seront facilitées par l’intermédiaire de l’identification de l’auteur des faits par la Haute Autorité. »
La Haute Autorité, un organe sous haute influence
L’Asic ne s’arrête pas en si bon chemin. Sur l’institution de la Haute Autorité chargée d’orchestrer la riposte graduée, elle demande à ce que cette autorité soit vraiment indépendante et donc que ses agents ne soient pas nommés par le ministère de la Culture, dont on connaît la proximité ou la dépendance avec les ayants droit. Des mesures spéciales doivent en outre être instituées pour identifier et rendre publics d’éventuels conflits d’intérêts entre ses membres et une partie dont le dossier serait examiné.
Mieux, au regard des pouvoirs de l’Hadopi, l’Asic estime que « la Haute Autorité n’étant pas une autorité judiciaire, elle ne peut pas prendre « toute mesure » propre « à faire cesser ou à prévenir une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». Il convient à cet effet que la Haute Autorité renvoie cette mission au juge des référés. »
Nous indiquions hier que le calendrier d'adoption du projet de loi Olivennes risquait bien d’être contrarié. Alors que le Snep estime que le texte arrivera le 15 mai en conseil des ministres pour une première lecture au Sénat fin juin ou en juillet, ces critiques de l’Asic montrent une nouvelle fois l’ampleur de la tâche. Selon nos sources proches du dossier, le Conseil d’État n’a toujours pas rendu son avis sur l’avant-projet Olivennes et les dangers de ce chantier risquent fort de contrarier le calendrier bien huilé rêvé par l’industrie du disque.
Rédigée par Marc Rees le mardi 06 mai 2008 à 11h16
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