.LIBERATION
11/02/2010 à 13h21 (mise à jour à 18h41)
Travailler moins... censurer plus
Une artiste peut-elle exposer à Paris une œuvre mettant en scène les mots «travailler», «plus», «gagner», «moins» ? Non, a jugé le directeur de l'école des Beaux-Arts, qui ne veut pas qu'on se moque de Nicolas Sarkozy.
Par PHILIPPE GRANGEREAU
Accrochées mercredi matin, les banderoles ont été décrochées dans la journée. (DR)
Siu-lan Ko, une artiste chinoise, a été censurée pour une œuvre jugée trop provocatrice à l’encontre de Nicolas Sarkozy. Son installation, composée de banderoles géantes, avait été mise en place mercredi matin sur la façade de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, qui donne sur le quai Malaquais. Elle a été retirée d’autorité pendant la journée. On pouvait y lire quatre mots:«travailler», «gagner», «plus», «moins». «Selon l’angle de vision, ce slogan de Sarkozy peut être vu différemment», explique l’artiste, qui a conçu et réalisé son œuvre à Pékin.
Les Beaux-Arts avaient donné sans ambiguïté leur accord à l’installation, qui était prévue depuis décembre, selon l’artiste, qui exposait dans le cadre d’un projet artistique intitulé «Week-end de sept jours» – réunissant des étudiants du programme de recherche La Seine ; des étudiants du Royal College of Art de Londres, et de Lassalle College of the Arts de Singapour. Bien que la commissaire de l’exposition se soit opposée à l’enlèvement de l’installation, et sans que l’artiste ait été consultée, la décision de décrocher les banderoles a été prise dans l’après-midi de mercredi.
La censure a été décidée par le directeur des Beaux-Arts, Henry-Claude Cousseau, rapporte la commissaire de l’exposition, Clare Carolin, du Royal College of Art de Londres. «Pour toute explication, il m’a dit que cette oeuvre se moquait du président français». En quinze ans de carrière, elle dit n’avoir jamais été confrontée à ce genre de «censure». Pour protester, elle a décidé de remettre sa démission, et de repartir en Grande-Bretagne samedi. «Je me sens insultée, et je ne veux pas être associée avec cette censure.» Selon Ko, «l’œuvre gênait des personnalités du ministère de l’Education, ce qui est malvenu car ce ministère doit bientôt décider du budget annuel de l’Ecole des beaux-arts.»
Contacté par Libération hier mercredi afin d’obtenir une explication, le secrétariat de Cousseau n’a pas retourné le coup de fil prévu. La direction justifie son geste en faisant passer Siu-lan Ko pour «une étudiante»…
Siu-lan Ko, 33 ans, qui vit entre Hong-Kong et Pékin, est pourtant une routière des expositions internationales depuis 2003. Ko s’intéresse plus particulièrement au phénomène de la propagande et aux slogans (voir son site). Elle a récemment réalisé une installation en Chine. «Ne pensez pas trop», disait une de ses banderoles. «Venant de Chine, je ne comprends pas cette censure brutale en France, et surtout dans l’une de ses écoles d’art les plus anciennes, qui est supposée encourager la liberté d’expression. Cela montre le degré de conservatisme du climat politique et le degré de peur de Sarkozy», proteste l’artiste, qui dit envisager un recours en justice si son œuvre n’est pas restaurée avant le vernissage de «Week-end de sept jours», prévu vendredi.
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