LEMONDE.FR | 06.04.10 | 19h55 • Mis à jour le 06.04.10 | 19h55
"Puisque Nicolas Sarkozy se veut le champion de la 'culture du résultat', le moment est venu d'évaluer cette culture à l'aune de ses résultats." Voilà l'idée qui anime les quinze élus, députés, sénateurs et députés européens de sensibilités politiques diverses qui ont lancé, mardi 6 avril, un audit pour évaluer la politique d'immigration du gouvernement. Leur démarche est guidée par celle des universitaires et militants associatifs membres de l'association "Cette France-là" qui ont décidé de publier, chaque année, un état des lieux de la politique d'immigration sous la présidence de Nicolas Sarkozy, confrontant les objectifs fixés aux conséquences sur la vie des étrangers. Le second volume de ce travail d'évaluation paraît le 8 avril.*
Les élus participants
Martine Billard, députée Parti de gauche de Paris ; Sandrine Mazetier, députée PS de Paris ; Noël Mamère, député Verts de Gironde ; George Pau-Langevin, députée PS de Paris ; Serge Blisko, député PS de Paris ; Daniel Goldberg, député PS de Seine-Saint-Denis ; Richard Yung, sénateur PS des Français de l'étranger ; Bariza Khiari, sénatrice PS de Paris ; Eliane Assassi, sénatrice PC de Seine-Saint-Denis ; Patrick Braouezec, député PC de Seine-Saint-Denis ; Eva Joly, députée européenne Europe Ecologie ; Hélène Flautre, députée européenne Europe Ecologie; Jean-Luc Benhamias, député européen MoDem; Etienne Pinte, député UMP des Yvelines ; Françoise Hostalier, députée UMP du Nord.
"Nous allons connaître la cinquième loi sur l'immigration en sept ans. C'est évidemment un aveu d'échec. Il faut que nous essayions de réfléchir ensemble pour remettre à plat l'inefficacité de nos politiques", a déclaré le député UMP Etienne Pinte mardi matin dans une petite salle de l'Assemblée nationale, où onze des quinze élus étaient réunis. Le ministre de l'immigration vient en effet d'annoncer un nouveau projet de loi visant à réformer, pour le durcir, le code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda). "Le gouvernement multiplie les lois mais n'en fait pas le bilan. On dirait qu'il s'agit davantage de faire parler du sujet, pour jouer avec l'opinion, que de répondre efficacement aux questions que pose l'immigration. C'est pour ça qu'il me semble positif que nous puissions évaluer cette politique de manière autonome et indépendante", a confié la députée socialiste George Pau-Langevin.
Les élus ambitionnent ainsi de rencontrer responsables politiques, haut fonctionnaires, chercheurs, patrons, syndicalistes et militants associatifs pour évaluer non seulement l'efficacité des politiques menées, mais aussi l'impact réel de l'immigration sur les comptes de l'Etat ou la cohésion sociale, en remettant en question les évidences qui sous-tendent la politique actuelle. Dans un "point de vue" paru dans Le Monde le 31 mars, des initiateurs de cet audit suggéraient ainsi de mettre à l'épreuve certains présupposés : "Est-il vrai que la France, et plus généralement l'Europe, s'exposent à accueillir toute la misère du monde si elles relâchent leur politique actuelle de maîtrise des flux migratoires ? Est-il vrai que les immigrés coûtent cher à la France - soit parce qu'ils pèsent sur le budget de l'Etat, soit parce qu'ils affectent négativement l'emploi et les salaires ? Est-il vrai, comme le gouvernement l'affirme, que l'intransigeance à l'encontre des sans-papiers favorise l'intégration des migrants en situation régulière et la lutte contre les discriminations raciales ?"
Cet audit permettrait également d'obtenir des chiffres indiscutables sur des questions qui font polémique comme le coût réel de la politique d'éloignement : la somme de deux milliards d'euros avancée par le collectif "Cette France-là" pour 2008, est contestée par le ministère. Des chiffres que jusqu'ici la députée PS Sandrine Mazetier n'est pas parvenue à obtenir du ministre de l'immigration, Eric Besson.
"Nous allons demander la création d'une mission parlementaire très officielle sur la question mais nous avons peu de chance de l'obtenir", déplore le député Verts Noël Mamère qui compte sur "le sens de l'Etat" des haut fonctionnaires pour qu'ils acceptent de répondre aux questions de la commission informelle. Devoir passer par cet audit pour essayer d'évaluer la politique de l'exécutif est à la fois, pour lui, un constat d'échec et la révélation d'une hypocrisie sur le rôle du législatif aujourd'hui.
Les questions abordées pourraient être larges si l'on en juge par la diversité des sujets présentés mardi matin par les élus. Le sénateur PS Richard Yung, qui représente des Français de l'étranger, a ainsi suggéré d'évaluer l'efficacité du système d'aide au retour : "Sur le papier, donner 10 000 euros à un migrant au chômage en France pour qu'il reparte créer une entreprise chez lui peut sembler une bonne idée, mais sur le terrain c'est une autre histoire." Pour le député PS Serge Blisko, "il faut se pencher sur la question du droit d'asile, qui ne doit pas devenir une variable de la politique d'immigration mais rester un droit fondamental". Députée UMP du Nord, Françoise Hostalier a plaidé, elle, pour s'interroger sur "la façon de prévenir les conflits à l'étranger" : "si l'on ne mène pas une action cohérente en Afghanistan, alors on verra demain des milliers d'Afghans arriver en France".
"Nous formons un arc-en-ciel de députés, sénateurs et députés européens de toutes les couleurs politiques, c'est ce qui donne la légitimité de notre démarche. Mais nous ne pouvons pas dire pour autant que nous n'avons pas d'a priori", a reconnu Noël Mamère. "Nous voulons en effet démontrer l'absurdité voire l'obscénité de cette politique du chiffre, qui crée d'importants dégâts sociaux. Nous ne voulons pas que la France devienne un bunker, ni qu'elle contribue à la création d'un apartheid planétaire !"
Le calendrier des auditions, qui a priori seront publiques, doit être fixé en mai. Elles s'étaleront sur plusieurs mois, à l'issue desquels les élus s'engagent à publier un rapport formulant des propositions alternatives.
Aline Leclerc
* Cette France-là, vol.2, 01.07.08 - 30.06.09, 432 pp., 18 euros. A paraître le 8 avril 2010.
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