Journalistes en masse, noms d'invités qui fuitent, contestations : le secret s'étiole autour du groupe de Bilderberg, réuni ce week-end.
(De Madrid) La réunion de tous les fantasmes, celle qui réunit depuis cinquante ans « les maîtres du monde » dans le plus grand secret, perd cette année de son mystère à coups d'invités confirmant officiellement leurs présences et de journalistes commentant en direct le ballet des berlines aux vitres teintées. Mais le cœur des débats reste impénétrable pour le commun des mortels.
Simple raout entre puissants et multimilliardaires ou conspiration pour décider du futur du monde, intervention militaire en Iran et futur de l'euro compris ? Le « groupe de Bilderberg », qui se réunit jusqu'à dimanche dans une station balnéaire proche de Barcelone, suscite les rumeurs les plus folles depuis sa fondation, en 1954.
Le secret entoure traditionnellement sa liste d'invités, une bonne centaine de personnalités européennes et américaines -multimilliardaires, leaders politiques, chefs d'entreprises, leaders d'opinions- qui doivent en outre jurer de ne pas raconter ce qu'ils ont vu et entendu dans le saint des saints, généralement la salle de conférence d'un hôtel de luxe barricadé pour l'occasion.
De quoi exciter les amateurs de théories de la conspiration qui reprochent régulièrement aux « grands médias » de se rendre complices en ignorant délibérément ces retrouvailles annuelles. Une remarque reprise et illustrée par le sérieux Slate US, en 2008, dans un article traduit sur Rue89 : « Jusqu'ici les détracteurs de Bilderberg ont raison : La presse grand public a ignoré Bilderberg en 2008 », remarquait Jack Shafer quelques jours après sa 5e édition.
Des fuites de noms qui démystifient Bilderberg
En revanche, cette année, au moins en Espagne, le pays hôte, les informations envoyées en direct depuis le périmètre de sécurité ne manquent pas. Une recherche sur le Google News espagnol rapporte des centaines de résultats publiés dans les grands journaux et les chaînes de télévisions connectent en direct avec leurs envoyés spéciaux comme pour un Festival de Cannes où la montée des marches serait dissimulée au public.Les grands journaux britanniques ont aussi envoyé leurs reporters sur place.
En France, peu d'informations ont été publiées jusqu'ici, à l'exception du blog de la romancière Flore Vasseur partie pour Marianne 2 et d'une dépêche AFP tombée vendredi.
Celle-ci reprend d'ailleurs les déclarations de la vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Teresa Fernandez de la Vega, qui a contribué à casser le mythe en confirmant officiellement la présence de José Luis Rodriguez Zapatero qui devrait y prononcer un discours portant sur la crise économique mondiale vendredi après-midi.
Dans la matinée, c'est Bill Gates lui-même qui avait annoncé publiquement sa venue, pour la première fois a-t-il précisé.
Selon les listes qui fuitent ici ou là, le président de la Banque centrale, Jean-Claude Trichet, le Britannique Peter Mandelson, le président de la Banque mondial, Robert Zoellick, l'ancien commissaire européen Pedro Solbes, le conseiller d'Obama Paul Volcker ou encore les rédacteurs en chef de The Economist et du Financial Times y assistent. D'ordinaire peu loquace en public, la reine d'Espagne, Sofia, serait aussi une habituée de la réunion.
Le choix du lieu brise aussi un peu le mythe obscur. Difficile de transmettre l'image d'un bunker menaçant à Sitges, mecque gay de la côte espagnole tout aussi célèbre pour son festival de cinéma fantastique que ses belles plages où déambulent parfois des zombies.
Un super-sommet secret évalué à 600 000 euros
Mais le déploiement de mesures de sécurité se charge de donner à l'occasion une ambiance plus inquiétante, à en croire les témoins sur place.Les alentours de l'hôtel Dolce, où logent les participants, sont littéralement pris d'assaut. Les habitants et employés de la zone résidentielle attenante à l'hôtel ont même dû s'accréditer auprès des forces de sécurité, rapporte Europa Press. Le terrain de golf et la boîte de nuit en plein air qui venait d'inaugurer la saison ont en plus été fermés au public pour le week-end !
Plus sérieusement, c'est le contribuable qui devra en partie payer ces énormes mesures de sécurité. « Un gaspillage injustifié », selon certains policiers. Un syndicat de Mossos d'Esquadra, la police catalane, a ainsi dénoncé publiquement vendredi le déploiement de « centaines de Mossos […] en pleine crise et alors que les gouvernements imposent une baisse de salaire aux fonctionnaires. » Le quotidien Público estime que cette facture s'élevera à 600 000 euros.
Les critiques de la rencontre dénoncent en outre le fait que les agendas des élus et personnalités publiques y assistant ne reflètent pas leurs venues. C'était le cas, en Espagne, de l'agenda de M. Zapatero, jusqu'à la confirmation vendredi matin de sa venue par son bras droit, et de celui de la reine espagnole.
Plutôt parsemées jusque-là, de nouvelles manifestations sont prévues ce week-end aux alentours de l'hôtel.
Photo : un manifestant brandit une pancarte contre le groupe de Bilderberg à Sitges, près de Barcelone, le 3 juin (Albert Gea/Reuters)
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