25/06/2007

Contrat de Travail unique? injouable

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«Les entreprises sont très réticentes à renoncer aux CDD»
faut-il fusionner cdd et cdi en un CONTRAT unique ? François Gaudu, professeur de droit à l’université Paris-I.
Par Biseau Grégoire
QUOTIDIEN : lundi 25 juin 2007/Libé
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Faut-il un contrat unique ? Le dossier sera à la rentrée un des chantiers prioritaires du gouvernement. Malgré une opposition des syndicats et une réticence du Medef. François Gaudu lance le débat.

Les promoteurs du contrat unique soulignent que le marché du travail français a démontré son inefficacité en protégeant les salariés en CDI et en maintenant dans la précarité ceux en CDD et autres contrats de travail temporaires. Partagez-vous ce diagnostic ?
C’est très exagéré d’assurer qu’un salarié français en CDI est aujourd’hui un salarié protégé. Etre en CDI ne signifie nullement se retrouver dans une position stable. Bon an mal an, les entreprises qui veulent procéder à des licenciements économiques en France y arrivent, et le taux de recours (2,5 %) est faible. Certes, notre législation du travail est plus contraignante que celle du Royaume-Uni, mais cela reste plus facile de licencier un salarié en France qu’en Suède ou en Allemagne.
L’un des problèmes français est la floraison de contrats précaires, qui rendent le système illisible pour les salariés, mais aussi pour les entreprises. Aujourd’hui, on hérite d’une situation où le législateur a créé une multitude de dérogations en empilant une trentaine de contrats temporaires différents. Sans compter que beaucoup de CDD sont illégaux. Mais comme les salariés se refusent dans leur grande majorité à utiliser les recours dont ils disposent, le système continue.
N’est-ce pas la preuve que le salarié aurait tout à gagner d’une fusion entre CDD et CDI ?
Qu’entend-on par contrat unique ? Depuis le rapport de Pierre Cahuc et de Francis Kramarz, on entend par contrat unique une fusion entre le CDD et le CDI. En cas de licenciement économique, il n’y aurait plus de contrôle du motif de licenciement, et l’entreprise serait déchargée de son obligation de reclassement des salariés. En contrepartie, le salarié recevrait une indemnité de licenciement plus importante, en fonction de son ancienneté, et un accès à un service public de l’emploi chargé de mener un accompagnement plus personnalisé.
Le problème, c’est que ce type de contrat rencontre au moins deux obstacles. Un : les entreprises sont très réticentes à renoncer au CDD, notamment pour les missions de remplacement. Car à la fin d’un CDD, sa non-reconduction n’est pas conflictuelle. Elle est parfaitement admise par le salarié. En revanche, avec un contrat unique, ce ne sera pas la même chose : l’entreprise sera dans l’obligation de procéder à un licenciement. Socialement, cela crée du trouble. Et l’entreprise n’aime pas ça. L’autre problème est d’ordre juridique : la France est l’un des rares pays d’Europe continentale à avoir signé la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Or celle-ci dispose que l’entreprise doit avoir un motif valable de licenciement pour licencier. C’est totalement incompatible avec le contrat unique, en tout cas celui défini par Cahuc et Kramarz et défendu également par l’OCDE et une partie du patronat européen. C’est pourquoi je suis dubitatif sur le fait que le contrat unique puisse voir le jour en France.
Un service public de l’emploi plus efficace ne va-t-il pas de pair avec un contrat unique ?
Pas du tout. D’ailleurs, on peut réfléchir à décharger les entreprises de leur obligation de reclassement externe en cas de plan social, sans pour autant passer par le contrat unique. Ce ne serait pas absurde. On peut imaginer, comme cela existe en Allemagne, que la mission de reconversion des salariés licenciés soit prise en charge par un service public de l’emploi, en échange du paiement d’une taxe. On peut aussi réfléchir à un système de bonus-malus qui ferait en sorte que les entreprises qui licencient le plus payent le plus (comme c’est le cas dans l’assurance chômage américaine).
Mais ne faut-il pas prendre ce contrat unique comme un élément indispensable d’une réforme plus large qui consisterait à sécuriser non pas les emplois mais les personnes sur le mode de la «flex-sécurité» danoise ?
Je suis tout à fait partisan de ce genre de réforme. Mais là encore, il faut savoir de quoi l’on parle. Le système danois repose à la fois sur une assurance chômage beaucoup plus étendue qu’en France (quatre ans d’indemnités même si plafonnées à 1 900 euros), sur une cogestion de la politique sociale avec des syndicats puissants, et enfin sur une vraie pression sociale sur les chômeurs pour les pousser à accepter les emplois qui se libèrent. Et ça marche. Cependant, les entreprises danoises sont obligées, soit par les conventions collectives, soit par la loi, de justifier d’un «motif raisonnable» en cas de licenciement. Le rapport Cahuc-Kramarz a créé une confusion intellectuelle en liant le débat de la Sécurité sociale professionnelle avec celui du contrat unique. Mais les deux questions sont totalement indépendantes.
Comment alors éviter le recours abusif aux CDD et aux contrats temporaires ?
La définition du CDD est assez restrictive. C’est pour cette raison que le législateur s’est cru dans l’obligation de multiplier les dérogations. Si bien qu’aujourd’hui même les juristes ont du mal à s’y retrouver. Une des pistes possibles serait de se rapprocher du modèle allemand. Outre-Rhin, les textes qui encadrent le recours au CDD sont plus souples. La contrepartie est que les conseils d’établissement ( Betriebsräte ) allemands ont un droit de regard sur la politique de l’entreprise en matière de recrutement. On est très loin du modèle social français. Chez nous, la prolifération de la réglementation est devenue une forme de flexibilité.

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