16/06/2007

Arnault veut les Echos

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La rédaction des Echos se rebiffe contre une vente à Arnault
Par Pascal Riché (Rue89) 17H58 16/06/2007

Bernard Arnault le 14 février 2007 (Reuters)

Les Echos, premier quotidien économique français, vont-ils tomber dans l'escarcelle du témoin de mariage de Nicolas Sarkozy, Bernard Arnault?
Depuis quelques jours, une bataille à coup d'intox et d'agit-prop se déroule entre Paris et Londres, où se trouve l'actuel propriétaire des Echos, le groupe Pearson, dont le fleuron est le Financial Times.

Depuis une semaine, des amis d'Arnault racontent à qui veut que le patron de LVMH est sur le point de payer le prix fort pour racheter le journal. Le Figaro parle même, au conditionnel, d'une vente imminente au prix extravagant de 250 millions d'euros.

La rédaction des Echos est affligée par ces rumeurs. Elle tient fort à son indépendance, restée intacte pendant toutes les années Pearson. Or Bernard Arnault, propriétaire du concurrent La Tribune, n'est pas, aux yeux des journalistes, un champion en la matière.

Chacun cite des anecdotes dont ont été victime les journalistes de l'autre quotidien économique. En septembre dernier, par exemple, un sondage CSA très favorable à Ségolène Royale avait été purement et simplement trappé.

Par ailleurs, Arnault est très proche du nouveau pouvoir . Il n'est pas seulement le témoin de mariage de Nicolas et Cécilia Sarkozy : son bras droit, Nicolas Bazire, est le vieux complice du nouveau Président, (c'est l'ancien directeur de cabinet d'Edouard Balladur, à Matignon).

Lors d'un comité d'entreprise ordinaire aux Echos, vendredi, la question de la vente du quotidien a été soulevée par les représentants des salariés. La direction n'a pas fait de commentaire, expliquant qu'elle n'était pas au courant des discussions engagées par Pearson. Les syndicats ont décidé de tenir une assemblée générale lundi après-midi.

Pendant ce temps, le président de la nouvelle Société des journalistes, Vincent de Féligonde, a adressé à la présidente du groupe Pearson, Marjorie Scardino, une lettre très ferme pour s'opposer à la vente des Echos à Arnault. La lettre, que nous reproduisons en français ici, fait part de "l'extrême inquiétude" de la rédaction :

"Il nous paraîtrait tout à fait incompréhensible et choquant que notre maison-mère choisisse de nous céder à un groupe industriel sur lequel nous écrivons quotidiennement. (...) A ce titre, une vente éventuelle du groupe Les Echos à Bernard Arnault, PDG de LVMH et propriétaire de notre principal concurrent La Tribune, nous paraîtrait dangereuse."

Au sein des Echos, on s'interroge en outre sur l'orchestration soudaine des informations annonçant l'arrivée d'Arnault. Au début de l'année, Marjorie Scardino, soucieuse de préserver l'indépendance éditoriale des Echos, avait en effet refusé une offre du patron de LVMH.

"Tout se passe comme si Arnault était en train de faire le forcing, en utilisant les médias, dans le but de contourner Scardino, et se signaler aux autres actionnaires. S'il répète qu'il est prêt à offrir 250 millions d'euros pour un journal qui en vaut 150, ces actionnaires de Pearson finiront par vouloir signer", commente ainsi un journaliste. Le prix qui circule est énorme: Les Echos ont réalisé un bénéfice de 11,5 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 122 millions.

Mais la bataille des Echos se déroule dans un contexte plus large, celui de la recomposition de l'actionnariat des grands quotidiens économiques anglophones. Rupert Murdoch a proposé de racheter le groupe Dow Jones (Wall Street Journal) à un prix 75% plus élevé que son cours de bourse. Et Pearson a songé vendre le Financial Times (ce qui pourrait intéresser le même Bernard Arnault...).

Les 220 journalistes des Echos ne sont pas les seuls, en France, à s'inquiéter des appétits de Bernard Arnault . Ceux de la Tribune, au nombre de 130, craignent encore plus pour leur avenir. Les plus pessimistes redoutent la disparition du titre. D'autres parlent d'une revente (Fabrice Larue, l'ancien PDG de Desfossés International, qui édite la Tribune, serait intéressé). Certains, enfin, jugent qu'Arnault aura intérêt à conserver le titre, pour empêcher un concurrent d'entrer sur le marché des quotidiens économiques. Aucune de ces options, toutefois, ne promet un avenir très souriant à un quotidien qui a toujours perdu de l'argent.

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