13/06/2007

Cas pratiques de récidive

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Récidivistes au tribunal : cas pratiques
LEMONDE.FR | 13.06.07 | 11h08 • Mis à jour le 13.06.07 | 11h08


H., 26 ans, est un récidiviste. Son casier comporte neuf condamnations. A l'automne 2005, il a cambriolé un appartement à Paris avec un copain. Il a comparu au début de l'année pour vol avec effraction, délit passible de cinq ans de prison. Le jugement décrit le butin : "Un ordinateur, un lecteur de DVD, une chaîne de cou." En 2005, aussi, H. a fui, paniqué, son domicile, après avoir trouvé son compagnon, un matin, dans leur lit, mort de la tuberculose. H. a pris la carte bancaire du défunt pour vivre à l'hôtel. Où il a été arrêté.



L'affaire a été renvoyée plusieurs fois, car les juges ont demandé des expertises psychologiques. Deux ans après les faits, le tribunal a prononcé un "ajournement de peine" : cela signifie que sa situation sera réexaminée si H. indemnise ses victimes. Avec la future loi sur les peines minimales, qui devrait être votée en juillet, ce délinquant aurait pu recevoir cinq ans de prison ferme. Pour comprendre comment la justice traite les récidivistes, Le Monde a consulté des jugements rendus à Paris.

H. est un justiciable "chanceux" : les magistrats ont examiné son cas avec attention. Son jugement est bien motivé. Le code pénal impose de prononcer la sanction "en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur". Mais, en réalité, les juges correctionnels ne le font pas, ou peu. Parce qu'il manque des éléments au dossier transmis par le parquet ou parce qu'ils négligent cette tâche.

En comparution immédiate, les affaires sont examinées à la chaîne. Les jugements stéréotypés de la 23e chambre du tribunal de Paris en témoignent. Ils abusent d'une formule rituelle : "Il résulte des éléments du dossier et des débats qu'il convient de déclarer M.X coupable des faits qualifiés de…" M. a ainsi été condamné à six mois de prison, dont trois avec sursis et une obligation de soins pendant deux ans, pour des violences en récidive sur sa femme. Sa précédente condamnation datait de 2003. Aucune autre précision dans le jugement.

A., Malien de 40 ans frappé d'une interdiction du territoire, a été condamné en récidive à trois mois de prison pour avoir volé un portefeuille. L'affaire avait été renvoyée pour réaliser une expertise psychiatrique. Dans le jugement, pourtant, nulle trace de celle-ci. La peine ferme est simplement justifiée par "la gravité des faits, qui participent au développement de l'insécurité quotidienne, la volonté de l'intéressé de se soustraire à l'exécution d'une décision de justice, et son état de récidive".

En comparution immédiate, Ch., 34 ans, a pris un mois ferme. Célibataire sans emploi, Ch. a comparu pour détention et usage de stupéfiants en récidive – du crack cette fois. "Il résulte des éléments du dossier…, etc.", dit le jugement. Qui motive "une peine d'emprisonnement sans sursis en raison de la nature des faits qui porte atteinte à l'ordre public sanitaire et social".

Avec la loisur la récidive, Ch. aurait pu être condamné à quatre ans. Le texte va exiger des juges, s'ils veulent descendre sous les peines minimales définies à l'avance, qu'ils motivent spécialement leur décision. Au troisième acte délinquant, sauf des "garanties exceptionnelles d'insertion", la peine sera quasi automatique pour certains délits. La production d'un contrat de travail ne suffira pas à éviter la prison, explique la chancellerie. "On mettra un an de prison au lieu de deux à un prévenu parce qu'il travaille dans la fonction publique?", s'interroge Serge Portelli, vice-président au tribunal de Paris. Pour ce juge, "c'est absurde!".

Le jugement de H. contient un paragraphe consacré à "la discussion sur la culpabilité". Dans ce cas, "elle ne fait aucun doute, il l'a admise". C'est le cas de la majorité des prévenus. Les juges ont noté que le vol de carte bancaire devait s'apprécier en fonction des relations entretenues entre H. et son compagnon. Mais, selon eux, l'intéressé a fourni "des explications confuses et non pertinentes".

Puis ils se sont penchés sur "la personnalité" de H. Celui-ci n'a pas connu son père, parti quand H. avait 4ans. Récemment, le jeune homme a été appelé par la police pour reconnaître le corps en décomposition de ce père, retrouvé mort à son domicile. La scolarité de H. a été difficile, jusqu'à ce qu'il décroche un BEP d'agent technique dans l'alimentation. Il a été placé à 12 ans. Puis est retourné vivre chez sa mère, avec son frère. Ses parents n'ayant pas supporté son homosexualité, H. est parti. Il a vécu dans la rue. Où, dit le jugement, "il a commencé à délinquer".

Son casier judiciaire, dès lors, s'est rempli : en 1999, amende pour port d'arme – en fait son tire-bouchon de garçon de café. En 2000, amende pour port d'arme en récidive, toujours à cause de son outil de travail. En 2001, deux mois de prison ferme pour les mêmes faits. En 2005, quatre mois avec sursis et 150 heures de travail d'intérêt général pour port d'arme – encore le tire-bouchon. La même année, trois autres condamnations pour port d'arme, vol, outrage et dégradations. En 2006, quatre mois pour vol avec effraction. Enfin, douze mois pour vol. Cette dernière condamnation ne figurait pas au dossier, H. l'a lui-même signalée à l'audience. Les experts ont conclu que le jeune homme avait une personnalité "fragile", qu'il avait besoin de soutien. H. a témoigné devant ses juges qu'il avait enfin trouvé un travail stable de chef de rang dans la restauration, à 1500 euros par mois. Il a commencé à suivre des soins psychologiques.

Le jugement, enfin, a mentionné "le débat sur la peine". Le procureur a requis huit mois d'emprisonnement dont quatre mois avec sursis et une mise à l'épreuve de trois ans. La partie civile a réclamé 400euros. Les juges ont décidé l'ajournement de la peine.

Pour les criminels, la nouvelle loi ne devrait rien changer. Lorsqu'un meurtrier tue à nouveau, il est condamné à de la prison ferme, la situation de récidive entraînant le doublement de la peine encourue. Même chose pour les auteurs d'atteintes sexuelles, sévèrement réprimées en France. Quant aux auteurs de délits, contrairement à l'idée reçue, la plupart sont sanctionnéspar des peines de prison, ferme ou avec du sursis : pour 114000 vols et recels jugés en 2004, 90000 peines d'emprisonnement ont été prononcées. Les peines minimales se traduiront par une sévérité accrue.

Récidiviste du vol aggravé, E., 45 ans, a été condamné quatorze fois entre 1981 et 2005. Il a comparu en janvier pour avoir vendu deux tickets de métro à des touristes, pour 35 euros. Il a été arrêté en flagrant délit, la somme aussitôt restituée aux victimes. E., cuisinier au chômage, malade du sida, touche une pension d'invalidité de 599 euros. Il n'a plus été arrêté depuis un an. "Depuis que j'ai trouvé un logement, j'ai arrêté", a-t-il témoigné. "Sa vie peut évoluer", ont convenu les juges, qui ont infligé 80 heures de travail d'intérêt général. Avec la nouvelle loi, E., aurait pu prendre cinq ans de prison.

Même probabilité pour C. 27 ans, qui a déjà cinq condamnations au casier pour port d'armes, vols, escroqueries. Son dernier jugement le condamne à deux ans de prison dont un avec sursis, et une mise à l'épreuve de trois ans. C. a trois enfants, le dernier vient de naître. "C. paraît aujourd'hui avoir quitté la délinquance. Il justifie d'un travail et d'une vie de famille stable", ont écrit les juges.
Nathalie Guibert

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