Il faut que le courant passe
Ariane Krol
La Presse
Le Québec, comme on le sait, est complètement accro à l'électricité. Celle qu'il consomme de façon immodérée, mais surtout celle qu'il exporte aux États-Unis. Si Hydro-Québec perdait, ne serait-ce que temporairement, son accès à ce lucratif marché, la ministre des Finances aurait du mal à boucler son budget. C'est pourquoi la plainte qu'un courtier en énergie vient de porter contre Hydro a suscité tant de brouhaha cette semaine.
Les faits reprochés devant les autorités réglementaires américaines sont loin d'être anodins. DC Energy, une société de la Virginie, accuse Hydro de fraude et de manipulation du marché sur une partie du réseau qui dessert New York. Depuis le scandale d'Enron, les États-Unis ne badinent pas avec ces trucs-là. L'organisme qui règlemente le marché de l'énergie, la FERC, a lancé un appel de commentaires.
DC Energy affirme que les Québécois se servent de leurs droits de congestion - un instrument financier utilisé sur les lignes de transport d'énergie - pour contrôler les prix sur une section du réseau.
Cela dit, le courtier aura fort à faire pour prouver sa théorie du complot. À l'entendre, toute l'affaire aurait été préméditée de longue date. Hydro se serait arrangée pour que la valeur des droits de congestion qui l'intéressent demeure basse durant des années pour les acheter à peu de frais ce printemps. Ces droits lui auraient permis d'offrir ses mégawatts à prix imbattable, faisant mordre la poussière à tous ses concurrents. Cette thèse repose uniquement sur des observations et des recoupements. Hydro, qui affirme avoir respecté toutes les règles du jeu, ne devrait pas avoir trop de mal à la démonter.
Cependant, même si elle rejetait les allégations de fraude, la FERC pourrait garder Hydro dans son collimateur. L'organisme doit en effet revoir son dossier l'an prochain. Il pourrait alors exiger des éclaircissements. En effet, DC Energy ne se contente pas de réclamer une compensation financière pour les pertes qu'il a subies. Il accuse carrément Hydro de pratiques anticoncurrentielles.
S'il s'avère que les Québécois contrôlent vraiment le prix de l'électricité et des droits de congestion et dans un segment du réseau, la FERC risque de ne pas apprécier. Même s'ils respectent toutes les règles du jeu.
Hydro, ne l'oublions pas, est plus imposante que bon nombre d'acteurs américains dans ce marché. Elle devra peut-être ramer un peu pour convaincre la FERC, non seulement de sa bonne foi mais aussi de son innocuité.
Rappelons qu'au Québec, la société d'État n'a pas de comptes à rendre sur la façon dont elle mène ses activités d'exportation. Ses dirigeants sont convaincus qu'ils auront gain de cause contre DC Energy et que le renouvellement de leur licence ne sera qu'une formalité. Souhaitons-le.
Mais si l'avenir leur donne tort, et s'il s'avère que leurs stratégies ont mis en péril leur relation avec la FERC, il faudra y voir. Car ce ne serait pas seulement Hydro qui aurait un problème, mais toute la population. Le financement d'une partie de nos services, ne l'oublions pas, dépend directement des revenus qu'elle tire du marché américain.
akrol@lapresse.ca
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