15/10/2007

Quand Le Monde publie de drôles de zozos, après Zemmour, Le Boucher

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L'Allemagne vire à gauche, par Eric Le Boucher
LE MONDE | 13.10.07 | 13h51 • Mis à jour le 15.10.07 | 11h27

Au moment où la France s'engage dans les réformes, l'Allemagne semble y renoncer. L'Agenda 2010, corpus réformateur mis en place en 2003 par Gerhard Schröder, est mis en pièces, morceau par morceau, aussi bien par le Parti social-démocrate (SPD) que par l'Union chrétienne-démocrate (CDU), dans un mouvement commun vers la gauche archéo, purement redistributrice. Outre-Rhin, l'heure est à " la réforme des réformes", c'est-à-dire à leur recul. Alors que les prochaines élections ne sont que dans deux ans, les deux partenaires de la coalition ont déjà engagé la course aux cadeaux sociaux.


Les réformes sont toujours douloureuses et donc politiquement coûteuses : l'hésitant Nicolas Sarkozy n'avait certainement pas besoin de ce rappel, lui qui semble fuir devant la moindre impopularité.

L'Agenda 2010 représentait un ensemble radical de changements de l'Etat social. Gerhard Schröder avait attendu son deuxième mandat pour se résoudre au traitement de choc, mais l'Allemagne s'enfonçait dans la stagnation, le chômage dépassait les 5 millions et les comptes publics allaient vers l'abîme, alourdis par le poids de la réunification. Coupe dans les remboursements de santé, révision du système de retraite et réforme du marché du travail : le leader du SPD décrétait du sang et des larmes. Dans l'opposition, Angela Merkel proposait d'aller encore plus loin.

Aujourd'hui, en France, les réformateurs prennent le courage du chancelier Schröder en exemple pour vanter qu'il est payant : les déficits sont en voie de résorption, le chômage est revenu à 3,5 millions, les exportations sont excellentes et la croissance est dynamisée (2,6 % cette année, contre 1,8 % en France). En réalité, la part du gouvernement dans ce "retour allemand" n'est que relative. Beaucoup a été fait du côté du secteur privé : la rigueur acceptée par les salariés a permis de retrouver la compétitivité, la cassure des liens banque-industrie a rouvert le jeu et les PMI ont repris le chemin de l'investissement. Tandis que l'Etat serrait les ceintures, le capitalisme industriel a su se rénover. Mais, en septembre 2005, affaibli par la perte de plusieurs élections régionales, Gerhard Schröder est sèchement remercié. Angela Merkel, qui a (un moment) fait campagne à droite, est elle-même en échec. Elle doit accepter de partager le pouvoir avec le SPD.

Mme Merkel va conserver la ligne de conduite de son prédécesseur (notamment sur la rigueur budgétaire), mais avec une pédale douce. Elle introduit une assurance parentale et un smic dans plusieurs secteurs. Son gouvernement a mis à l'étude cet été une revalorisation de l'allocation de chômage (350 euros mensuels), une hausse des allocations familiales, des aides immobilières, un projet d'intéressement des salariés.

Une surenchère s'est engagée ces dernières semaines. Kurt Beck, nouveau leader du SPD, propose de revenir sur les lois dites Harz IV, qui avaient ramené de trente-deux à douze mois la durée de versement de deux tiers de leur ancien salaire aux chômeurs (ensuite ils touchent les 350 euros). La CDU, qui veut revaloriser l'indemnité, n'est pas en reste. Dans les deux camps, les réformateurs sont en recul. Dans les deux camps, la majorité trouve qu'il est temps de distribuer les fruits de la croissance.

N'est-ce pas le moment en effet ? D'un point de vue conjoncturel, le raisonnement se tient. Le rebond germanique a été provoqué par l'exportation. Celle-ci a tiré ensuite l'investissement. Mais la consommation, qui doit prendre le relais dans une troisième étape, se fait toujours attendre. Elle stagne. Alors que les débouchés extérieurs vont se restreindre à cause du ralentissement de l'économie américaine, la croissance risque de s'essouffler faute de consommation. Accorder des aides et remonter les allocations peut contribuer, ne serait-ce qu'un peu, à la revigorer.

N'est-ce pas aussi socialement le moment ? Les petits jobs et les réformes Schröder ont créé des nouveaux pauvres, ce qui choque en Allemagne (souvenir des années 1930) et provoque un vif débat. Le climat social a basculé. Les conducteurs de train ont engagé des grèves d'avertissement, les plus dures depuis quinze ans, menées par un syndicat résolu qui réclame 30 % de plus sur la feuille de paie.

Tous les syndicats de la fonction publique se préparent à passer au combat pour les négociations salariales de 2008. Dans le privé, les organisations de la métallurgie, de la chimie et du commerce ont déjà arraché des hausses.

Nous ne devrions pas poser le sac ! C'est en résumé le message des milieux économiques, qui s'inquiètent de voir le balancier des réformes sociales repartir dans le sens de la facilité, celui de régler les problèmes par des subventions. L'Allemagne, disent-ils, est loin d'être tirée d'affaire face à la Chine et à l'Inde : son vieillissement est certain, ses institutions sont paralysantes (les relations entre Berlin et les Länder par exemple), sa productivité est faible, son université dépassée, son système d'innovation toujours défaillant.

Bref, s'il faut en effet soutenir la consommation, la transformation en une économie du XXIe siècle reste à faire, et l'Etat devrait y consacrer tous ses moyens. Et d'en appeler à une nouvelle phase de réformes concernant cette fois les structures et non plus les coûts.

Les politiques en seront-ils capables à deux ans des élections ? Espérons que oui, sinon nos politiques à nous, qui ont tant tardé à s'inspirer du bon exemple allemand, voudront vite copier le mauvais.
Eric Le Boucher
Article paru dans l'édition du 14.10.07.



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