02/02/2009

Même les 'malgré-eux' en ont plein le cul des réformes de la sarkozie

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TOUT LE MONDE EN A MARRE !!!, il suffirait de pas grand chose pour que ça casse


Olivier Beaud : dans la rue, malgré lui
LE MONDE | 02.02.09 | 15h01 • Mis à jour le 02.02.09 | 17h30

Il vous donne rendez-vous dans son bureau, presque gêné d'en avoir un. Aucune fioriture, des livres du sol au plafond, une salle de profs ordinaire. Mais l'adresse est prestigieuse en plein coeur de la montagne Sainte-Geneviève, avec vue imprenable sur le Panthéon. Nous sommes à l'Institut Michel-Villey pour la culture juridique et la philosophie du droit. "C'est parce que je suis directeur de ce centre que je dispose d'un bureau, c'est rare pour un universitaire en France", précise Olivier Beaud. Le ton est donné.



Des chercheurs et enseignants de l'université Aix-Marseille-I lèvent la main pour voter la grève, le 2 février à Marseille, dans le cadre du mouvement national des universités afin d'obtenir le retrait du projet modifiant leur statut.
Face à Pécresse, les universitaires blogueurs fourbissent leurs arguments
La coordination nationale des universités a prévenu qu'elle appellerait à une grève "reconductible et illimitée" si elle n'obtenait pas le retrait du décret sur les enseignants-chercheurs ainsi que celui de la réforme du recrutement des enseignants.

Pourtant, le professeur de droit public à l'université de Paris-II (Panthéon-Assas), âgé de 50 ans, ne se plaint pas. Il fait partie du gratin universitaire, de ceux qui publient dans les plus prestigieuses revues et dont la reconnaissance dépasse les murs de son université. Mais il est en colère, au point d'être devenu en quelques semaines l'un des opposants les plus actifs au projet de décret de la ministre de l'enseignement supérieur, Valérie Pécresse, qui réforme le statut des enseignants-chercheurs.

Son exaspération n'a rien d'un coup de sang. En décembre 2008, il avait déjà rédigé une longue analyse critique du texte sur le site de l'association Qualité de la science française, mais c'est la publication, le 6 janvier, dans Le Monde d'une tribune cosignée avec douze autres universitaires de renom qui l'a poussé au premier plan. Intitulé "Université : pas de normalisation par le bas", le texte démonte point par point un projet jugé "inacceptable". Olivier Beaud n'y va pas par quatre chemins : le texte ministériel, selon lui, contribuerait "à réaliser une lente mise à mort de l'université française, parce qu'il aspire à transformer les universitaires en "employés de l'université" et en sujets des "administrateurs professionnels"".

Très vite, sa contribution circule de forums en sites Internet, est reprise sur des blogs pour finir par se transformer en une pétition qui, en quelques semaines, recueille près de 9 000 signatures. Jusque-là discret, l'universitaire devient la figure emblématique de la grogne qui agite les campus. Le 26 janvier, pour la première fois de sa vie, il a fait grève, lui qui se dit "totalement ignorant des réalités syndicales". Lundi 2 février, nouvelle journée de grève, il restera très mobilisé. Encarté nulle part, "plutôt de gauche", il n'a jamais eu l'âme d'un agitateur. "Mais, c'est ma dignité d'universitaire qui est en jeu dans cette affaire", considère-t-il.

Pour le juriste, le projet s'attaque à ce qui fait l'essence même du métier d'universitaire : l'indépendance, un principe fondamental reconnu dans les lois de la République, aime-t-il à rappeler. "Il n'y aura aucun contre-pouvoir aux décisions du conseil d'administration de l'université et de son président." Sa révolte ne serait-elle qu'un réflexe de mandarin ? Une réaction de défense corporatiste ? Pour beaucoup de ses collègues, les raisons sont ailleurs.

"C'est quelqu'un qui a une très haute opinion du métier d'universitaire, ce qui l'amène parfois à être très critique à l'égard de ses pairs", estime Olivier Jouanjan, un de ses amis, professeur de droit public à l'université de Strasbourg. "Il fait partie de cette génération qui a enseigné à l'étranger, notamment en Allemagne, raconte Michel Troper, professeur émérite de droit public à l'université de Paris-X et un de ses maîtres. Il a pu mesurer le contraste avec la situation française." Pour un de ses collègues juristes, "s'il est aujourd'hui à la tête de ce combat, c'est pour des raisons qui dépassent largement le décret. Comme beaucoup d'universitaires, il souffre de voir que le professeur d'université ne jouit pas du prestige et de la place qu'il a encore dans certains pays".

Olivier Beaud réfute toute trace d'aigreur ou de nostalgie dans son engagement. Son parcours lui semble être "typique d'un professeur de droit". Après un bac scientifique, il hésite entre le droit et l'économie. Il opte pour la première solution. Son frère jumeau, Stéphane, pour la seconde. Sociologue, spécialiste de la condition ouvrière, il est lui aussi professeur, mais à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm. L'engagement de son frère ne l'a pas surpris. "Olivier a été l'un des premiers, au moment de la discussion de la loi sur l'autonomie des universités, à relever les risques qu'elle comportait", explique Stéphane Beaud.

Les jumeaux, "qui ont plein de divergences sur des tas de sujets", partagent la même analyse sur le décret, et plus largement sur l'université. "Nous nous retrouvons sur l'idée que l'universitaire doit poursuivre des recherches, n'est pas là pour courir le cacheton...", poursuit le sociologue.

Des deux, Olivier a pris la trajectoire la plus directe. Etudiant d'abord à Dijon, puis à Paris, il se passionne très vite pour le droit public "le moins pratique et le moins rentable", plaisante-t-il. Licence, DEA, thèse de troisième cycle, puis doctorat d'Etat ; plusieurs fois primé pour ses travaux, il est reçu premier à l'agrégation de droit public en 1990. A 32 ans, le voilà professeur, d'abord à Lille-II pendant huit ans puis à Paris-II, une des universités les plus réputées en droit.

"C'est un pur universitaire, il n'a jamais envisagé de faire autre chose", témoigne Stéphane Rials, son directeur de thèse, professeur de droit à Paris-II. "Universitaire à plein temps", Olivier Beaud continue, malgré sa notoriété, à enseigner dans les amphis bondés de première année de licence. Il n'arrondit pas ses fins de mois comme certains de ses collègues juristes en exerçant à l'extérieur, dans des cabinets d'avocats.

Moqué même au sein de sa famille pour ses "six heures de cours par semaine", il se dit lassé de cette vision comptable de l'université. "Un bon universitaire, c'est quelqu'un qui jongle toujours entre ses articles, ses cours, le suivi de ses étudiants, la participation à des colloques..." Pour la première fois de sa carrière, il envisage même de quitter l'université française. "Je n'exclus rien, c'est un combat presque existentiel. Si ce décret passe, j'aurai beaucoup de mal à encourager les jeunes chercheurs à faire carrière à l'université."

Dans son grand ras-le-bol, il renoncerait à ses thésards, à ses responsabilités au sein du Conseil national des universités, tout ce facultatif qui fait sa vie depuis près de vingt ans. Sur le pas de la porte, il s'interroge : "Dire tout ça, je sais que ça fait un peu matamore... mais j'en suis là."

Parcours

1958
Naissance à Annecy (Haute-Savoie).

1989
Thèse de doctorat d'Etat en droit public.

1990
Reçu premier à l'agrégation de droit.

1998
Professeur de droit public à l'université de Paris-II (Panthéon-Assas).

2001-2006
Détaché, comme chercheur, au Centre Marc-Bloch de Berlin.

2009
Engagé dans la mobilisation contre le projet de réforme de Valérie Pécresse, a fait grève le 26 janvier.


Catherine Rollot
Article paru dans l'édition du 03.02.09.



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