20/06/2009

L'attentat de Karachi, un dossier conséquent dans LIBERATION ( 4 articles)

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LIBERATION

La vengeance clandestine de la DGSE

La France aurait tué un de ses maîtres chanteurs et en aurait blessé trois autres à titre de représailles.

G.D.

Au printemps 2002, au moment où les relations avec des militaires pakistanais s’envenimaient sur fonds de commission non perçues, l’Etat français aurait appliqué la loi du talion par l’entremise du Service Action de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), une unité militaire spécialisée dans les opérations clandestines.

«Rétorsion». Au regard d’éléments figurant dans le dossier d’instruction, une équipe du Service Action aurait été dépêchée au Pakistan au moment de l’attentat de Karachi pour «appliquer des mesures de rétorsion», au motif qu’«on ne fait pas chanter la France». Les juges responsables de l’enquête, Marc Trévidic et Yves Jannier, ont confirmé l’existence de cette hypothèse lors de leur rencontre de jeudi à Cherbourg avec les familles des victimes. Selon des confidences recueillies par Libération, cette expédition punitive aurait consisté à casser les jambes de trois amiraux pakistanais et à liquider un militaire d’un rang inférieur.

L’épisode, méconnu jusqu’à une période récente, a provoqué des discussions entre familles de victimes et magistrats, jeudi à Cherbourg. Un témoin de cet échange a indiqué que les juges semblaient s’interroger encore sur la date de l’opération.

Bombe. Celle-ci aurait pu avoir lieu entre les mois de mars et d’avril, après que l’ambassade de France à Islamabad a reçu un avertissement sous la forme d’une bombe désamorcée, pour stopper ledit chantage - mais en vain. Ou bien après l’attentat du 8 mai 2002, pour punir les responsables.Outre que la vengeance ne saurait se substituer à la justice, l’affaire montre aux magistrats qu’au sein de l’appareil sécuritaire français des décideurs connaissaient les maîtres chanteurs.
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LIBERATION
Société 20/06/2009 à 06h51
Sarkozy dément


En marge du sommet européen à Bruxelles, Nicolas Sarkozy a démenti vendredi tout lien entre l’attentat de Karachi et la vente de sous-marins : «C’est ridicule […], c’est grotesque […], qui peut croire une fable pareille ?» En l’occurrence, deux députés socialistes, Bernard Cazeneuve et Jean-Pierre Godefroy, réclamant l’ouverture d’une mission d’information parlementaire pour que «toute la vérité soit faite».




http://www.liberation.fr/societe/0101575133-karachi-derriere-l-attentat-l-ombre-d-une-affaire-d-etat

LIBERATION
Société 20/06/2009 à 06h51
Karachi : derrière l’attentat, l’ombre d’une affaire d’Etat


GUILLAUME DASQUIÉ et RENAUD LECADRE


Le 8 mai 2002 à Karachi, onze salariés des arsenaux de la marine française (et trois Pakistanais) sont tués dans l’explosion d’un bus les transportant vers leur lieu de travail, alors qu’ils coopéraient à la construction de sous-marins au Pakistan. Le dispositif - une Toyota piégée avec un explosif sophistiqué - allait convaincre les enquêteurs de la DNAT (Division nationale antiterroriste) que la France et la DCN étaient directement visées, comme «Libération» le révélait le 27 novembre dernier.
Un montage financier est-il à l’origine de l’attentat ?

L’attentat contre un bus de la DCN (Direction des constructions navales) à Karachi a-t-il été la conséquence de pots-de-vin que la France n’a pas versés à des officiers supérieurs pakistanais dans le cadre d’un contrat d’armement portant sur la vente de sous-marins au Pakistan ? «C’est une piste cruellement logique», affirment les magistrats en charge de l’instruction, Marc Trévidic et Yves Jannier. Des mots prononcés devant les familles de victimes, jeudi après-midi dans les locaux du tribunal de Cherbourg, lors d’une audition destinée à informer les parties civiles. Cette instruction, débutée par Jean-Louis Bruguière dès le 8 mai 2002, rassemble aujourd’hui près de 1 200 documents cotés. Des dizaines de pièces concernent l’accord industriel lui-même, aux termes duquel ces Français travaillaient à Karachi. En particulier une copie du contrat, document de 162 pages signé le 21 septembre 1994 entre la DCN, la Sofrantem (son partenaire dédié) et l’Etat pakistanais. L’ingénierie financière de cet accord incombant à une structure spécialisée, la Financière de Brienne. Ce contrat, négocié et conclu en pleine campagne présidentielle, a provoqué d’intenses tractations financières. Notamment dans les salons de réunion de l’hôtel Prince de Galles, où des familiers des marchés de l’armement, tels le Libanais Ziad Takieddine et le Saoudien Ali ben Moussalam, rencontraient le vice-président de DCN-International, Emmanuel Aris, et parfois Renaud Donnedieu de Vabres, alors conseiller du ministre de la Défense, François Léotard. En marge de ces palabres, des arrangements ont été convenus pour rémunérer certains intermédiaires. Ainsi, le 30 juin 1994, Emmanuel Aris signait un contrat avec une société panaméenne, Mercor Finance, représentant Ziad Takieddine, lui assurant 4 % du contrat. La neuvième clause du contrat interdit à Takieddine de reverser une partie de ces fonds à des résidents français ou à des sociétés françaises ; mais ne dit rien de la partie pakistanaise (à cette période, le versement de commissions à l’étranger pour «faciliter» les contrats n’était pas illégal). Au regard des pièces ainsi rassemblées, l’hypothèse d’un lien avec le paiement de ces commissions est l’une de celle retenue par l’instruction. Car ces versements ont été soumis à des bouleversements politiques.

Que se passe-t-il après l’élection de Jacques Chirac ?

Sitôt élu à l’Elysée en 1995, Jacques Chirac entreprend la renégociation de tous les contrats d’armement susceptibles d’avoir financé la campagne d’Edouard Balladur, dont les sous-marins destinés au Pakistan. C’est mentionné noir sur blanc dans un document saisi lors d’une perquisition au siège de la DCN : «Les commissions ont été versées jusqu’en 1996, puis les paiements bloqués sur instruction des autorités françaises, faisant état de retours illicites de tout ou partie des commissions en France.» A la tête de la Sofresa, organisme public supervisant les ventes d’armes, le chiraquien Pierre Mazens remplace le giscardo-balladurien Jacques Douffiagues. On renégocie à la hache les contrats signés au Pakistan et en Arabie Saoudite. Mais pas ceux signés à Taïwan : la vente des frégates aura mystérieusement survécu aux régimes mitterrandien, balladurien et chiraquien.

Quels liens avec l’Arabie Saoudite ?

Au Pakistan, un honorable consultant est censé toucher sa dîme. Son contrat de commissionnement, signé en juillet 1994, n’est plus honoré depuis juillet 1996. Reste un reliquat de 15 % que l’intéressé ne pas réclame pas, histoire de se faire oublier… Qu’importe, la DCN provisionne la somme, lui gardant l’argent au chaud. En septembre 2000, après la ratification (avec trois ans de retard en France) de la convention anticorruption de l’OCDE, la DCN se décide à garder l’argent : «La provision devrait être retirée du fait de sa violation de la loi pénale.» En revanche, des «consultants» saoudiens se révèlent bien plus accrochés à leur dû, convention OCDE ou pas. Si le versement de 150 millions de francs au prince Fadh ou de 240 millions au prince Abdallah ne pose pas de problème, d’autres intermédiaires engagent des procédures pour toucher leurs commissions. Y aurait-il un rapport entre Riyad et Karachi ? Ziad Takieddine est censé toucher sur les deux contrats, tout comme Abdul Rahman el-Assir : beau-frère d’Adnan Khashoggi, intermédiaire privilégié entre Paris et Riyad, c’est un proche du président pakistanais Zardari.

Y a-t-il eu des signes avant-coureurs du chantage ?

A partir de la fin 2001, le non-versement de commissions à certains officiers supérieurs pakistanais a-t-il été à l’origine de menaces, voire d’un chantage ? L’Elysée fait savoir que rien ne valide le lien entre l’attentat et un quelconque financement occulte. Des épisodes, consignés dans le dossier d’instruction, permettent toutefois de l’envisager. Par exemple, le 26 janvier 2002, Mustafa Haroon, responsable de la sécurité du personnel de la DCN à Karachi, est agressé par huit individus qui lui dérobent une mallette avec quantité de documents se rapportant aux déplacements des Français. Le 28 janvier 2002, la compagne du chargé d’affaires français en Afghanistan, Jean-Marie Schuh, rejoint l’enceinte diplomatique d’Islamabad au volant de la voiture affectée au couple, une Toyota Land Cruiser. Lors de l’inspection de rigueur du véhicule, on découvre, près du réservoir, une bombe reliée à un retardateur. Selon un document de la DNAT, les faibles quantités d’explosif utilisées «plaident pour un usage mesuré de l’effet recherché plus proche d’une mise en garde que de l’intention de tuer». Sur un autre procès-verbal, le 15 avril 2002, un sous-traitant pakistanais de la DCN, en relation avec des membres des services secrets pakistanais, évoque les risques qui pèsent sur les équipes venues de Cherbourg. Trois semaines plus tard, le 8 mai 2002, jour de commémoration en France, leur bus est pulvérisé.


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LIBERATION
Politiques 20/06/2009 à 06h51
Casting prestigieux pour ventes d’armes opaques

Même si leurs responsabilités sont diluées, les leaders de l’actuelle majorité apparaissent en nombre dans l’affaire DCN.

RENAUD LECADRE


Les principaux ténors de l’actuelle majorité présidentielle se sont impliqués, depuis quinze ans et chacun à leur manière, dans les affaires de ventes d’armes de la Direction des constructions navales (DCN) à destination du Pakistan et de l’Arabie Saoudite. Des microrôles, dont l’accumulation dessine rétrospectivement un étonnant casting.

Nicolas Sarkozy. En 1994, ministre délégué au Budget, il donne son feu vert à la DCN en vue de créer une structure luxembourgeoise, Heine, par laquelle transiteront des commissions à l’exportation. A l’époque, ces flux offshore étaient déductibles de l’impôt sur le bénéfice des sociétés, après accord de Bercy. Le feu vert de Sarkozy est strictement logistique : il ne vaut pas autorisation à des rétrocommissions versées à des décideurs français, il signifie encore moins que lui-même en serait éventuellement bénéficiaire. Simplement, Sarkozy autorise alors des virements à l’étranger - discrets, à défaut d’être occultes - dont tout le monde sait qu’ils font l’objet de rétrovirements. Son feu vert est doublé de celui de Nicolas Bazire, alors directeur de cabinet d’Edouard Balladur à Matignon, toujours intime de l’actuel président de la République. Mais aussi de François Léotard, alors ministre de la Défense, désormais pourfendeur de la Sarkozie.

François Pérol. Aujourd’hui nommé à la tête du groupe Caisse d’épargne-Banque populaire, ex-secrétaire général adjoint de l’Elysée en charge des affaires économiques, déjà membre du cabinet de Nicolas Sarkozy lors de son second passage à Bercy (en 2004), on sait moins qu’il fût aussi administrateur de la DCN. C’était à la fin des années 90, quand Pérol était membre de la direction du Trésor - et quand valsaient les commissions baladeuses. En tant que haut fonctionnaire, donc, et ne faisant pas encore partie de la galaxie Sarkozy.

Brice Hortefeux. Bien des années plus tard, en 2005, il intervient auprès des services fiscaux. Depuis l’adoption de la directive anticorruption de l’OCDE, en 2000, les commissions offshore sont proscrites. Mais la DCN entend continuer à les déduire de son bénéfice imposable, sous couvert de «frais commerciaux». Bercy accepte dans un premier temps, avec un plafond de 15 %. Trop peu pour la DCN, manifestement plus généreuse en matière de grands contrats. Elle charge Hortefeux, alors ministre délégué de Sarkozy au ministère de l’Intérieur, de jouer les petits télégraphistes auprès de Bercy en transmettant ce courrier : «S’il est bien vrai que des fonds ont transité vers des sociétés au Luxembourg et en Belgique, ceux-ci ont servi, pour l’essentiel, à s’assurer de la rétribution des sources et du paiement de documents confidentiels.» Hortefeux s’exécute et transmet à son collègue des Finances.

Jean-François Copé. Alors ministre du Budget, il fait répondre à la DCN : «J’ai fait procéder à un examen particulièrement attentif de cette affaire. Les commissions versées ont été considérées comme engagées dans l’intérêt de l’entreprise à hauteur de 15 % du chiffre d’affaires réalisé. Aucun événement nouveau n’étant présenté, le taux de commission admis, particulièrement bienveillant compte tenu des pratiques courantes en la matière, ne me paraît pas pouvoir être remis en cause.» Ultime sursaut chiraquien, Copé transmet le dossier au parquet : le fisc est à l’origine du déballage pénal de l’affaire DCN.

Jean-Louis Borloo. Dieu sait pourquoi son nom est mentionné dans le dossier. A propos d’une mission confiée à un cabinet de détectives privés, baptisée «Bonaparte», liée à la vente de frégates à Taïwan - record mondial de commissions : 20,85 % du contrat. Un mémo interne de la DCN fait état de l’intervention d’un «homme politique local». Interrogé en cours d’instruction, un dirigeant de la DCN ne se fait pas prier : «Il s’agit de Jean-Louis Borloo», avocats d’affaires, depuis devenu ministre. Sans plus de précisions.






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