Le plus grand centre de rétention de France ouvre près de l'aéroport de Roissy
LE MONDE | 16.03.10 | 15h22 • Mis à jour le 16.03.10 | 20h41
Deux grandes structures contiguës de type carcéral reliées par une passerelle et entourées de hauts grillages, de barbelés, de haies épineuses et d'un chemin de ronde : il ne s'agit pas d'une nouvelle prison, mais bien d'un centre de rétention administrative (CRA), le plus grand jamais construit en France. Il devrait ouvrir ses portes d'ici à la fin du mois. Situé au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), près de l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle d'où partent nombre d'expulsés, ce centre, érigé à 1 km d'un premier de 140 places, pourra accueillir 240 étrangers en situation irrégulière.
L'ouverture de ce nouveau CRA, qualifié de "camp d'internement pour étrangers" par la Cimade, une association habilitée à intervenir en rétention, intervient alors que le ministre de l'immigration, Eric Besson, s'apprête à présenter en conseil des ministres un nouveau projet de loi visant "à simplifier" les retours forcés d'étrangers en situation irrégulière. Officiellement, le nouveau centre, que Le Monde n'a pas été autorisé à visiter, est composé de deux structures distinctes de 120 places - la législation limite la capacité d'accueil à 140 places par centre de rétention. En 2008, le contrôleur général des lieux de privation de liberté s'inquiétait de "la fiction de "plusieurs centres" placés en un même lieu".
La Cimade, qui a pu le visiter, évoque un espace "sécuritaire" et "totalement déshumanisé". A l'intérieur, "de multiples caméras de vidéosurveillance et détecteurs de mouvements permettront aux policiers, depuis une tour de contrôle, de contrôler en permanence ce que font les personnes retenues". Le haut des portes des chambres est vitré, interdisant toute intimité.
L'association note par ailleurs que l'accès aux lieux d'aides (infirmerie, local associatif, Office français de l'immigration et de l'intégration) et aux pièces de visite (familles, avocats, consulat) n'est pas libre comme c'est le cas dans d'autres CRA : "Il ne pourra se faire qu'après le franchissement de plusieurs grilles et portes à fermetures magnétiques que les policiers actionneront à distance par un système d'interphone."
Un dispositif qui laisse craindre à la Cimade des problèmes d'accès aux intervenants extérieurs. L'association se dit d'autant plus inquiète que 40 places sont réservées à des familles, ce qui induit l'accueil d'enfants.
En juillet 2009, à la suite d'une enquête sur la gestion des CRA, la Cour des comptes s'alarmait de la construction de ce centre. "Le nouveau projet du Mesnil-Amelot va entraîner une concentration massive de retenus dans le secteur, avec de grands risques d'effets néfastes", relevait-elle. "Il est certes prévu plusieurs zones de vie différentes, mais celles-ci, contiguës et séparées par des grilles, risque de n'atténuer que faiblement l'effet de masse", insistait la haute juridiction déplorant qu'aucun enseignement n'ait été tiré des incidents du centre de Vincennes.
Le 22 juin 2008, théâtre depuis plusieurs mois de vives tensions, le CRA de Vincennes, alors le plus important de France avec une capacité de 280 places (deux fois 140), avait été ravagé par un incendie après le décès d'un Tunisien âgé de 41 ans - le jugement de l'affaire est attendu mercredi 17 mars. Trois mois avant le drame, la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente qualifiait ce centre de "chaudron qui peut se mettre à exploser au moindre incident". La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) soulignait elle aussi le risque qui découle de la concentration d'un "nombre excessif de retenus".
Pour la Cour des comptes, "il peut être considéré qu'au-delà de 80 places, le CRA devient une sorte "d'usine à éloigner" peu propice à l'attention individuelle que doit recevoir chaque retenu, ne serait-ce que pour éviter qu'il s'oppose à son retour". La police aux frontières, insistait la Cour, reconnaît elle-même que les très grands centres engendrent des risques de trouble à l'ordre public, une moindre individualisation du suivi psychologique et une moindre disponibilité des personnels envers les retenus. Même avis du député UMP Thierry Mariani, auteur d'un rapport d'information sur les centres de rétention, qui plaide pour que ces lieux gardent une "taille humaine" en ne dépassant pas 60 à 80 places.
Ces mises en garde n'ont pas empêché le gouvernement de reconstruire le centre de Vincennes en trois modules de 60 places (pour un total de 180 places) et de finir le projet d'extension du centre du Mesnil-Amelot.
Au total, le "plan de rénovation" des CRA engagé en 2006 portera le nombre de places disponibles de 943, en 2005, à 1 959 fin 2010.
Laetitia Van Eeckhout
Article paru dans l'édition du 17.03.10
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