20/06/2007

La belle et le clochard?? on a passé l'age..

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Fadela Amara, le pari d'une insoumise
LE MONDE | 20.06.07 | 15h19 • Mis à jour le 20.06.07 | 15h29


L'une arbore une petite croix en or sur son tailleur bleu marine, l'autre porte une veste militaire kaki sur un pantalon noir, mais toutes deux se tiennent par le bras en faisant le tour du jardin de l'hôtel de Castries, où siège le ministère de la ville.

Christine Boutin et Fadela Amara admettent en souriant qu'elles forment un couple improbable. "Un couple paradoxal, un couple extraordinaire, plaisante la présidente de Ni putes ni soumises. Mais c'est un beau mariage, même s'il y aura sans doute, comme dans tous les mariages, de petites disputes."
Qui eût imaginé tandem plus déconcertant pour ce ministère chargé d'améliorer la vie dans les quartiers ? Christine Boutin, la pasionaria qui brandissait la Bible dans l'Hémicycle pendant les débats sur le pacs, la fondatrice de l'Alliance pour les droits de la vie pour qui l'avortement est un geste "eugéniste et inhumain", la "consulteur" du Conseil pontifical de la famille, un organisme de la Curie romaine fondée par Jean Paul II, travaillera désormais au côté de Fadela Amara, une féministe qui revendiquait en 2005 "la liberté durement acquise des femmes à disposer de leur corps" et la "lutte contre toutes les formes d'intégrisme et d'obscurantisme".
Jusqu'ici, elles ne s'étaient croisées que sur des plateaux de télévision. "Pour s'écharper", précise Christine Boutin dans un sourire. "Mais nous avions alors chacune un rôle à jouer, ajoute aussitôt la ministre du logement et de la ville du gouvernement de François Fillon. Maintenant, il s'agit d'autre chose : notre objectif est de faire en sorte qu'il n'y ait plus de quartiers sensibles. La nomination de Fadela Amara traduit la volonté de Nicolas Sarkozy de rassembler la France dans toutes ses différences. Fadela et moi, nous avons désormais un objectif commun : que chaque homme, chaque femme, chaque enfant, soit respecté sur notre territoire."
La présidente de Ni putes ni soumises avait été contactée une première fois par l'Elysée au lendemain de l'élection présidentielle, lors de la constitution du premier gouvernement Fillon. Elle avait alors décliné l'offre en affirmant qu'elle serait plus utile à la tête de son association. Mais lorsque son nom a une nouvelle fois circulé, au lendemain des élections législatives, elle a fini par sauter le pas. " J'ai un peu hésité car je suis une femme de gauche et que je l'assume. Mais j'ai dit oui parce que mon combat dépasse les clivages politiques et parce qu'il y a urgence. Je veux avoir des manettes pour transformer la vie dans les quartiers." Fadela Amara, qui a rencontré Nicolas Sarkozy à plusieurs reprises lorsqu'il était ministre de l'intérieur, assure qu'elle ne sera ni un alibi, ni la "minorité visible de service".
"Quand on connaît mon caractère de cochon, c'est difficile à imaginer !, sourit-elle. J'ai accepté de rejoindre le gouvernement parce qu'on m'a assuré que ma liberté de parole serait respectée. Quand on s'occupe de personnes discriminées, humiliées, oppressées, comme moi, on n'a pas le droit d'avoir des états d'âme. Je veux mettre mes mains dans le cambouis pour bâtir une vraie politique de la ville."
Fadela Amara connaît bien les cités pour y être née, il y a quarante-trois ans. Son père, un Kabyle algérien qui travaillait dans le bâtiment, est arrivé à Clermont-Ferrand en 1955, avant de repartir au pays épouser la fille de son cousin germain, de vingt-deux ans sa cadette. "Ils se sont installés dans une cité supposée être de transit à l'époque, le quartier d'Erbet, à Clermont-Ferrand, raconte-t-elle dans La Racaille de la République. Dans ce quartier, il n'y avait pas de mélange. Quand je suis née, 99 % de la population était d'origine algérienne ou du nord du Maghreb. J'ai vécu dans un village arabe, algérien."
Ses parents, qui ont dix enfants, sont tous deux analphabètes. "Mon père a appris à signer, et il sait signer son nom, rien d'autre", poursuit-elle dans son livre. Fadela, qui connaît une scolarité chaotique, s'engage dans le militantisme dès l'adolescence en montant une marche civique pour encourager les jeunes de Clermont-Ferrand à s'inscrire sur les listes électorales, puis en créant une Association des femmes pour l'échange intercommunautaire. En 1983, elle participe à la Marche des beurs avant d'adhérer, en 1986, à SOS-Racisme, dont elle deviendra l'une des permanentes. En 2003, après les états généraux des femmes des quartiers et la mort de Sohane, une jeune fille brûlée vive par son ex-petit ami, elle fonde Ni putes ni soumises.
Sa culture politique s'est forgée au sein de SOS-Racisme, association née dans le sillage du Parti socialiste. "Fadela venait du fond du fond, elle était en province, elle n'avait pas fait d'études mais elle avait un truc : c'était une révoltée, se souvient l'un des anciens présidents de SOS-Racisme, Malek Boutih. C'était une vraie sauvageonne des quartiers, avec les cheveux en pétard et une grande gueule, mais plus il y avait d'injustice, plus sa combativité augmentait. Les élites politiques, même au Parti socialiste, ont du mal à faire une place à ces jeunes issus des quartiers car ils les bousculent. La nomination de Fadela Amara est donc un geste symbolique important."
Les mouvements féministes, qui ont parfois eu des relations difficiles avec Ni putes ni soumises, notamment pendant la controverse sur le port du voile à l'école - elle était favorable à la loi -, se disent en revanche déçues par sa décision. "Je suis pour le moins étonnée, pour ne pas dire peinée et interloquée, de voir Fadela Amara, qui se réclame du féminisme, travailler au côté de Christine Boutin, qui milite depuis de longues années contre les droits des femmes et contre l'avortement, note l'une des porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes, Suzy Rojtman. Je la croyais dans le camp de la gauche."
Mardi 19 juin, à l'issue de leur rencontre dans les jardins du ministère, Christine Boutin a donné rendez-vous à Fadela Amara pour le lendemain matin. "Il faudra lui trouver un bureau", a glissé la ministre à ses collaborateurs. La présidente de Ni putes ni soumises, qui devrait quitter ses fonctions dans les jours qui viennent, s'apprêtait à regagner en métro la Maison de la mixité, dans le 20e arrondissement, quand on lui a signalé qu'une voiture était désormais à sa disposition. "Alors, le métro, c'est fini ?", a plaisanté Fadela Amara. La nouvelle secrétaire d'Etat a finalement quitté l'hôtel de Castries, édifié au XVIIe siècle par le seigneur de Nogent, dans une Citroën bleu marine du ministère.
Anne Chemin

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