jeudi 26 juillet 2007 (13h13) :
SARKOZY L’AFRICAIN
2 commentaires
Lu dans CQFD n°44 Avril 2007
Au petit jeu du marketing électoral, Sarkozy n’a pas fini de nous surprendre. Fustigeant la politique africaine de Chirac, il affirme qu’il mettra fin à la Françafrique et au soutien des dictatures africaines. Vraiment ? Au placard les Sassou N’Guesso (Congo), les Bongo (Gabon) et autres « racailles » de l’oligarchie africaine ? CQFD a mené l’enquête.
_BÉNIN, 19 MAI 2006. Le ministre de l’Intérieur est en tournée « extérieure » pour améliorer le contrôle de l’immigration. À cette occasion, il dénonce la politique africaine de Chirac : « Il nous faut la débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés. » Quelques mois plus tard, Sarkozy récidive. Se définissant comme « l’ami des Africains », il s’engage, une fois élu, à mettre fin à la Françafrique et « cesser de traiter indistinctement avec des démocraties et des dictatures » [1].
_Nicolas Sarkozy, fossoyeur de la Françafrique ? Ce terme, rappelons-le, désigne le système de domination néocoloniale mis en place dès 1960 par le général de Gaulle et son bras droit Jacques Foccart. Objectif : instaurer ou maintenir des dictatures africaines « amies de la France », afin de garantir les intérêts économiques et diplomatiques dans les anciennes colonies. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons : trucage d’élections, assassinats, coups d’État, détournement de l’aide au développement, etc. Ce vaste système d’ingérence et de corruption, entretenu par tous les présidents français depuis 1960, est l’un des « plus longs scandales de la République » [2] Face aux promesses sarkoziennes, le doute nous saisit. Est-ce le même homme qui expulse 50 000 immigrés en trois ans ? Qui refuse l’asile politique aux dizaines de milliers d’Africains fuyant des régimes tortionnaires soutenus par la France ? Qui proclame le rôle positif de la colonisation française : « La vérité, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de puissances coloniales dans le monde qui aient tant oeuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation. » [3] ?
_Oui, c’est le même. Les discours de Nicolas Sarkozy, c’est un peu comme à la Foir’fouille. On trouve de tout. Un patchwork contradictoire destiné à séduire le plus large public possible. Ainsi, quand le candidat UMP dénonce les réseaux françafricains, il tempère aussitôt : « Aucun pays du nord ne porte autant d’attention à l’Afrique que la France. Aucune nation n’a autant à coeur la stabilité, le développement, la réussite des pays du continent africain. » [4] Cherchez l’erreur... Et le pillage des matières premières, l’affaire Elf, la Cogema au Niger, Bouygues au Mali, Bolloré partout ? « Il faut cesser de répéter que la France est présente en Afrique pour piller ses ressources car, à tout bien peser, c’est vrai, nous n’avons pas économiquement besoin de l’Afrique [...] La France est en Afrique avec des ambitions plus amicales. » [5] Et Nicolas Sarkozy de s’ériger en ardent défenseur des multinationales françaises : « Bouygues, Air France, Bolloré, n’ont pas besoin de la diplomatie française pour exister et se développer en Afrique. S’ils y sont dynamiques, c’est grâce à l’ancienneté de leur implantation, ils ont cru à l’Afrique avant beaucoup d’autres. C’est au talent de leur management et de leurs collaborateurs qu’ils le doivent et à eux seuls. » [6] Cocorico ! Deux ans plus tôt, le même, alors ministre de l’Économie, offrait plus d’un milliard d’euros de subventions aux entreprises françaises installées en Algérie, record historique. Raison de plus pour Martin Bouygues de mettre à la disposition de son ami Sarkozy, le temps de la campagne présidentielle, son conseiller Afrique Michel Lunven. Cet ancien ambassadeur de France au Gabon était le conseiller de Jacques Foccart, principal architecte de la Françafrique.
_Mais au fait, Nicolas Sarkozy entretient-il des relations avec des dictateurs africains ? Oui. Il rencontre régulièrement Omar Bongo, dirigeant du Gabon depuis 1967. Omar Bongo, qui est à la démocratie ce que l’arsenic est à l’apéritif, déclarait récemment : « Avec Nicolas Sarkozy, il y a une différence parce qu’on est amis. Si demain il me renie parce qu’il est président, je lui dirai : “Ce n’est pas sérieux Nicolas’’. [...] Je crois que le fondement même de la Françafrique restera, quitte à l’améliorer. » [7] Si c’est lui qui le dit... Nicolas Sarkozy est par ailleurs ami de Denis Sassou N’Guesso, parvenu à la tête du Congo par un coup d’État. Il soutient également la monarchie marocaine de Mohammed VI et le pouvoir militaire de Bouteflika. Pour s’introduire auprès des oligarchies africaines, le candidat gaulliste s’est entouré d’un directeur de campagne de premier choix : l’ancien bras droit de Charles Pasqua, Claude Guéant, spécialiste des questions africaines.
_Résumons : Nicolas Sarkozy est ami d’Omar Bongo, apôtre des multinationales françaises, conseillé par un ancien du « réseau Pasqua ». Mais il se déclare « contre la Françafrique ». Ah, les présidentielles et leur festival de promesses ! De quoi méditer sur ce proverbe africain pour les semaines à venir : « Ne te laisse pas lécher par qui peut t’avaler. » _Jonathan Ludd
_[1] Jeune Afrique, 05/11/2006.
_[2] La Françafrique, François-Xavier Verschave, Stock, 1998. Voir également le site de l’association Survie .
_[3] Meeting de Caen, 09/03/2007.
_[4] Bénin, 19/05/2006.
_[5] Jeune Afrique, 05/11/2006.
_[6] Africatime, 20/05/2006.
_[7] NouvelObs, 18/02/2007.
_À lire également, l’article PS et Françafrique : une amnésie d’éléphant paru dans le même numéro. _http://www.cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=1365
De : Sankara
jeudi 26 juillet 2007
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire