L’ouverture fait toujours grincer. Après plus de six mois d’un gouvernement dont les énarques ont été quasiment éradiqués, le style de Fadela Amara reste très controversé.
Une secrétaire d’Etat chargée de la Politique de la ville peut-elle utiliser le vocabulaire des jeunes des cités ? Peut-elle, comme vendredi dernier sur Canal +, évoquer les «boîtes aux lettres pétées», les cages d’escalier où «ça pue» pour dénoncer les conditions de vie des habitants de certains quartiers. A en croire le porte-parole du gouvernement Laurent Wauquiez, cette spontanéité est très appréciée au sommet de l’Etat. En sortant du Conseil des ministres décentralisé de Strasbourg, le 7 septembre, il avait rapporté mot à mot la première intervention d’Amara sur son plan banlieue : «Je vous le dis très cash : maintenant il faut agir. Il est hors de question qu’on continue à se la raconter sur la question des banlieues.» Et Wauquiez, enthousiaste, ajoutait : «Ça a été un des moments très forts de ce Conseil des ministres, tout simplement parce que Fadela a traduit avec beaucoup de simplicité, mais avec un langage très clair, direct, ses convictions.»
Limites. Un mois plus tard, le 9 octobre, alors que beaucoup de militants UMP s’indignaient qu’Amara ait qualifié de «dégueulasse» l’amendement prévoyant le recours aux tests ADN dans le cadre du regroupement familial, Wauquiez avait encore applaudi : «Fadela Amara n’a pas les codes de la langue de bois, tant mieux. Ça fait du bien, ça apporte de l’oxygène.» Le patron de l’UMP, Patrick Devedjian, n’était pas du tout de cet avis : pour lui, Amara avait «injurié les députés UMP».
Après les émeutes de Villiers-le-Bel, l’exaspération à droite est montée d’un cran. C’est la porte-parole de l’UMP Nadine Morano qui a dit tout haut ce que beaucoup se contentent de penser : tout en rappelant qu’elle a, elle aussi, grandit dans un quartier populaire, la députée estime qu’Amara «enferme les jeunes dans une caricature. "Faut y aller à donf" ou "J’te kiffe", c’est tout ce contre quoi je me bats. Je fais tout pour casser ces codes». En privé, la très sarkozyste Morano estime qu’on touche là aux limites du «casting à la Fogiel» de ce gouvernement. Elle n’avait pas caché sa frustration, en juin, quand les Fadela, Rama et Rachida étaient propulsées au gouvernement. Ce fut un cri du cœur : «Ce n’est pas de ma faute si je m’appelle Nadine!»
Invitée de RTL, lundi matin, Fadela Amara a mis les rieurs de son côté : «Nadine Morano, elle est sympa, mais elle énerve tout le monde, et tout le monde la fuit !» a-t-elle lâché après avoir comparé la députée à «la Castafiore». A l’UMP, beaucoup trouvent que c’est assez bien vu.
Attaques. Sur le fond, la polémique est loin d’être close. Dans l’entourage de la secrétaire d’Etat, on revendique un vocabulaire qui permet de «toucher du doigt la violence sociale». Qu’elle vienne de la droite ou de la gauche (notamment de celle qui qualifia la fondatrice de Ni putes ni soumises de représentante de la «gauche tajine»), les attaques contre Amara «démontrent que les élites restent incapables de prendre la mesure des discriminations», assurait hier un proche. Il ne reste plus à la secrétaire d’Etat à démontrer que son plan banlieues, attendu courant janvier, en prendra lui la mesure…
ALAIN AUFFRAY
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