LE MONDE | 03.07.07 | 15h50 • Mis à jour le 03.07.07 | 18h39
Avec le nouveau projet de loi sur la récidive des majeurs et des mineurs, c'est la cinquième fois depuis 2002 que, en France, la législation pénale des mineurs se durcit. Le projet, examiné par le Sénat les 5 et 6 juillet, instaure des peines minimales pour les récidivistes qui s'appliqueront aux mineurs. L'excuse de minorité est retirée en cas de deuxième récidive pour les 16-18 ans auteurs de crimes et de délits violents. Les lois Perben de 2002 et 2004, la loi sur la récidive de 2005, celle sur la prévention de la délinquance de mars 2007 avaient déjà accru la sévérité des lois pénales pour les mineurs. Depuis 2002, des sanctions sont prononcées dès l'âge de 10 ans ; des programmes de construction de centres éducatifs fermés et de prisons pour mineurs ont été lancés ; les procédures d'urgence ont augmenté ; enfin, le rôle du parquet a été considérablement accru.
Cette tendance française s'inscrit dans un mouvement général en Europe. "Dans plusieurs pays, une succession de lois réduisent le pouvoir du juge, codifient les mesures et renforcent celui du ministère public ou de la police. On retrouve partout cette tendance, même s'il y a des zones de résistances", explique Francis Bailleau, chercheur au CNRS, spécialiste de la justice des mineurs en Europe.
La délinquance des jeunes est un sujet d'inquiétude dans tous les pays européens. Selon plusieurs documents européens, le taux de délinquance juvénile représente entre 15 % et 22 % de l'ensemble de la délinquance. En France, le taux est de 18 %, contre plus de 20 % en 2000. Mais il est de 40 % pour les vols avec violence.
"Il y a une augmentation de la délinquance juvénile dans les pays occidentaux. Ce qui augmente, c'est une délinquance de rue qui est portée par les jeunes, explique Sebastian Roché, chercheur au CNRS et spécialiste des questions de délinquance. On peut parler d'un phénomène global, car les causes associées sont les mêmes dans tous les pays : déstructuration familiale, déscolarisation, frustration économique. Les études liées à la consommation des images violentes dans les pays occidentaux montrent aussi des convergences : une socialisation des jeunes par ces images violentes. Ce sont des modèles de rôles auxquels ils s'identifient."
Pour Sebastian Roché, "la progression de la délinquance explique la poussée législative". "C'est difficile pour un gouvernement de constater cette montée de la violence et de ne pas être plus répressif." L'Angleterre de Tony Blair a fait de la lutte contre la délinquance des jeunes un des axes de son action politique. L'Espagne a durci sa législation, fin 2006. La Belgique introduit des éléments plus répressifs dans sa nouvelle loi. Les opinions publiques de nombreux pays poussent à des changements, au gré des faits divers.
Francis Bailleau et Yves Cartuyvels animent depuis 2000 un séminaire du Groupe européen de recherche des normativités (GERN) sur les différents modèles de la justice des mineurs. Avec des chercheurs, il brosse une évolution allant d'un "modèle welfare", protecteur, à un système "néolibéral" plus répressif : "En commençant à travailler sur la justice des mineurs et son histoire, on s'est aperçu que le système était en train de changer. On relève beaucoup d'indicateurs de ce virage néolibéral de la justice : l'image sociale du jeune est devenue négative, les écarts de conduite moins tolérés par la société. Le regard porté sur le juge des enfants change : il avait un rôle social gratifiant, il devait accompagner un jeune de 14 à 18 ans pendant une période de flottement. Ce n'est plus le cas aujourd'hui."
Depuis le début du XXe siècle, un système spécifique de justice des mineurs s'est mis en place dans la plupart des pays européens, pays scandinaves exceptés, où les mineurs relèvent soit de la protection de la jeunesse, soit du système pénal traditionnel pour les plus de 15 ans. Le traitement éducatif et social y prend le pas sur le traitement pénal. Ce système scandinave perdure malgré les campagnes plaidant pour un abaissement de l'âge de la responsabilité pénale et des sanctions plus sévères.
Pour Francis Bailleau, deux pays semblent échapper à cette pression : l'Allemagne et l'Italie. "Magistrats et éducateurs sont solidement organisés en Allemagne. Et peuvent résister aux campagnes de l'opinion publique, provoquées par des incidents souvent très violents de mineurs d'origine russe."
Alain Salles
Article paru dans l'édition du 04.07.07.
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