Mission Bauer: comment gérer les crises depuis l'Elysée
Par David Servenay (Rue89) 18H00 04/09/2007
De toutes les lettres de mission signées cet été par le locataire de l'Elysée, celle d'Alain Bauer est certainement la plus courte et la moins claire. Elle a aussi la particularité d'être co-signée par le très absent François Fillon. Officiellement, il s'agit de présider un "groupe de travail" chargé de réfléchir au "rapprochement" de toutes les institutions publiques qui font dans la "recherche et l'analyse des questions de sécurité et stratégiques". Sont citées l'IHEDN pour la Défense, l'INHES pour l'Intérieur et la moins connue l'IERSE, adossée à la gendarmerie et spécialisée dans l'Intelligence économique.
Gérer les crises, déceler les menaces
A priori, la mission est assez floue. En fait, comme nous l'a expliqué le criminologue Alain Bauer, ce groupe de travail a six mois pour élaborer un dispositif de gestion de crise qui, en dehors du bunker nucléaire enterré dans les sous-sols du palais, n'existe pas à l'Elysée. (voir la vidéo)
L'enjeu de cette commission consiste donc à préparer une structure qui, bien que prévue de longue date, n'a pas encore vu le jour. Dès l'élection du 6 mai, les hommes de Nicolas Sarkozy se sont penchés sur le projet de création d'un Conseil national de sécurité. Les modèles ne manquent pas: du plus connu, celui de la Maison blanche, au plus audacieux, celui du Japon. Or, la situation que décrivait Roger Faligot le 21 mai 2007 sur Rue89 à propos du Japon s'est (re)produite à Paris. L'Elysée s'est très vite confronté aux résistances des grands corps de l'Etat: le ministère des Affaires étrangères et les services de renseignement.
Chacun est jaloux de ses prérogatives et craint d'être dépouillé de ses attributs par une structure qui aspirerait l'essentiel des instruments de décision: l'analyse et le renseignement. Le député UMP Pierre Lelouche, promoteur d'un CNS à l'américaine, s'est vite vu écarté par les nouveaux hiérarques de la présidence. En particulier le chef de la cellule diplomatique, Jean-David Levitte, opposé à la création d'un nouveau bidule qui ne servirait à rien.
Un super think tank au service du Président
Deuxième volet de la mission Bauer: mettre au point une sorte de super think tank, au service du président de la République, capable d'anticiper la montée de nouvelles menaces, quel que soit le front considéré, intérieur ou extérieur. Là encore, cette tâche correspond, à peu de chose près, à celle dévolue aux structures qui conseillent les chefs d'Etat étrangers. En pointant les menaces qui n'ont pas encore fait parler d'elles: celles liées aux nouvelles technologies et à toutes les ressources qui deviendront rares. Dans le désordre: l'eau, l'Internet, les puces... Mais surtout en donnant au Président des outils de prévention des crises. (voir la vidéo)
Pour ne pas faire de jaloux, cet expert des questions de sécurité intérieure, fin connaisseur des réseaux français, s'est entouré d'un panel de douze membres, représentants des instituts nommées ci-dessus et du ministère de la Défense. Histoire de ne pas entrer en concurrence avec les participants de la commission sur le Livre blanc de la Défense, ranimé début août pour faire le point sur les réductions budgétaires que l'armée va devoir assumer.
"Le plus grand échec de Sarkozy? La police de proximité"
Enfin la personnalité d'Alain Bauer, ancien Grand maître du Grand Orient, est significative de l'approche que Nicolas Sarkozy cherche à promouvoir en matière stratégique. A savoir, une politique de la démonstration -en force s'il le faut- comme l'a montré l'affaire des infirmières libyennes. Depuis, un activisme sans limite a saisi les membres du gouvernement dont les attributions touchent au domaine réservé du Président.
Pour mémoire, rappelons que Bauer fut nommé par Nicolas Sarkozy en 2003 à la tête de l'Observatoire national de la délinquance. Un organisme clef dans la conquête du ministère de l'Intérieur, notamment par le biais des enquêtes de victimation dont Alain Bauer estime qu'elles ont permis d'introduire des gains de productivité dans la police, tout en reconnaissant que l'échec de la politique Sarkozy place Beauvau reste la réforme manquée de la police de proximité. (voir la vidéo)
Enfin, Alain Bauer le jure: nulle ambition personnelle dans cette "mission" élyséenne. A 45 ans, il ne sera pas le Conseiller national à la sécurité du président, sauf s'il peut rester un "homme libre". Les candidats au poste devront patienter six mois.
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